Un étudiant de l’Université du Québec à Montréal, désireux de préparer et de présenter, dans le cadre d’un cours, un reportage sur une visite au musée avec une personne aveugle, a pris contact avec moi. J’ai accepté de me prêter à cet exercice. Cette visite, et les échanges suscités, m’ont amenée à formuler ma pensée et à communiquer des réflexions sur ce que représente l’art visuel pour moi.
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Pourquoi fréquenter les musées
«L’art est une façon de sentir le monde»
Le coup de fil déclencheur
Un étudiant de l’Université du Québec à Montréal, désireux de préparer et de présenter, dans le cadre d’un cours, un reportage sur une visite au musée avec une personne aveugle, a pris contact avec moi. J’ai accepté de me prêter à cet exercice. Cette visite, guidée bien sûr, et les échanges qui s’y sont greffés, m’ont amenée à formuler ma pensée et à communiquer des réflexions sur ce que représente l’art visuel pour moi. Voici donc, à bâtons rompus, quelques-unes de ces réflexions.
La représentation mentale
Écouter, questionner, toucher, c’est ma façon de voir, ce sont mes sentiers pour parvenir à la perception visuelle, laquelle prend la forme d’une représentation mentale.
J’ai toujours été à l’affût d’images, d’informations de nature visuelle. J’ai toujours beaucoup questionné, sollicité des détails. Ce grand besoin d’images dans mon esprit correspond à une soif de contact avec l’univers, à un désir d’appréhender le monde. Pour moi, il y a là une forme d’espace, un environnement dont l’accès, par des canaux non visuels, m’est à la fois nécessaire et réconfortant.
Accepter le paradoxe
Quand je réfléchis à ma façon de me sentir dans le monde, je réalise que je suis une visuelle, en ce sens que j’ai besoin de me représenter l’univers sous forme d’images. Que ces images soient fidèles à la réalité visuelle, aucune importance! Qui peut d’ailleurs vérifier?
Devant l’art visuel, ce qui est important pour moi, ce n’est pas de faire la preuve que je suis capable ou incapable de redessiner ce qui m’a été décrit, l’important c’est que l’image reconstruite à partir des informations communiquées soit éloquente pour moi, qu’elle me mette dans une atmosphère, un état d’âme particuliers, en somme, qu’elle me «parle».
Emmagasiner et recréer
Il y a l’univers sensible, celui au sein duquel les signaux déclencheurs de perception nous viennent de l’extérieur. Il y a aussi l’univers intérieur, intangible, celui qui, nourri par l’univers sensible, a la capacité de recréer, de réinventer des perceptions sensorielles et autres.
Une mémoire active
On dit l’inertie tant intellectuelle que physique sclérosante. Lorsque l’on n’utilise pas une connaissance, avec le temps on l’oublie. Lorsque l’on ne fait plus appel à une habileté, elle s’engourdit. Ainsi, lorsque l’on ne voit plus les images, si l’on n’y pense jamais, si l’on ne se met pas en situation de les recréer dans notre esprit, si on ne les fait pas revivre, je crois qu’on peut les oublier, les perdre.
Les images, une ressource
Les images sont une richesse pour l’imaginaire. Cet imaginaire, tous devraient le nourrir, y compris ceux qui ne voient plus, ceux pour qui les images sont et devraient demeurer un souvenir vivant et vibrant. Ces images constituent une banque de ressources, une mine à activer et à explorer pour alimenter l’univers intérieur.
Le rêve
Quand on rêve, on voit des images. Pourtant, ce ne sont pas de vraies images! Les éléments qu’elles animent, qu’elles font revivre ne sont pas là! On ne peut pas les toucher! Elles sont des habitants de l’univers intangible et non le fruit d’une perception sensorielle immédiate! Pourtant, qui oserait dire qu’il est ridicule de rêver? Qui penserait à se refuser l’accès au rêve?
Les prérequis
Si l’œil ne voit que ce que l’ensemble du vécu d’un individu le rend apte à recevoir, il en va de même des antennes sensitives et sensorielles autres que visuelles; elles ne peuvent capter que ce que l’individu est disposé et en mesure de percevoir.
Nicole Trudeau Ph.D.
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Article publié dans :
INFO-RAAQ Bulletin du regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) / Vol. 15, no 3, mai – juin 1993, pp. 19-21, édition braille pp. 22-25 / Nicole Trudeau Ph.D. / Pourquoi fréquenter les musées?