Nicole trudeau a décroché un doctorat les yeux fermés

Une rétinite pigmentaire qui lui a fait perdre totalement la vue à l’âge de l’adolescence n’a pas empêché Nicole Trudeau de décrocher (…) un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, après deux licences en musique. Texte signé Lily Tasso

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Nicole Trudeau a décroché un doctorat les yeux fermés

Photo de Nicole TrudeauLe piano, le solfège, le chant et, plus tard, le violon, l’orgue et de nouveau le piano jalonnent les études pré-universitaires de Nicole Trudeau à l’Institut Nazareth. Trois années d’étude à Paris entre deux séjours à la faculté de musique de l’Université de Montréal, lui permettent d’obtenir successivement un baccalauréat et une maitrise en musique avec comme sujet de thèse: «À l’écoute de l’école contemporaine de Vienne». À cause de complications administratives, comme elle dit, elle s’inscrit en sciences de l’éducation pour son doctorat, ce qui la force à prendre 30 crédits de plus.

Un défi de taille

Entreprendre un doctorat lorsqu’on est aveugle, est un défi de taille. Un défi qui a habité Nicole Trudeau pendant des années, l’obligeant à demander ce dont elle avait besoin, à trouver elle-même des solutions pour franchir chaque obstacle.

Son plus grand défi, au début, se situait au niveau de la recherche, puisqu’il lui fallait commencer par s’assurer que le sujet de thèse qu’elle a choisi n’avait pas encore été traité. Elle obtient peu d’aide de la bibliothèque, mais se trouve des bénévoles et quelques budgets pour des assistants de recherche entre 1975 et 1978.

Un autre gros problème a été d’obtenir les manuels et les livres qu’il lui fallait, dans un délai raisonnable. «J’ai beaucoup travaillé avec le magnétophone – la Magnétothèque n’existait pas encore – et j’ai trouvé des lecteurs exceptionnels qui m’ont donné beaucoup de temps bénévolement. M. René Chouteau, notamment, qui consacrait deux à trois heures par jour à enregistrer des cassettes pour moi et pour l’Institut Nazareth», confie-t-elle.

Ses notes de cours, elle les prend en braille: «Je suis pas mal rapide; c’est discret, sans bruit et ça ne dérange pas les autres».

Mais c’est une autre question que de rédiger une thèse. Au début, Nicole Trudeau dactylographiait elle-même ses textes, ce qui lui prenait un temps fou. Mais à un cours de gymnastique aérobique, elle a la chance de rencontrer Mme Anne Cusson, dont le mari, décédé depuis onze ans, était aveugle et avait été professeur au Conservatoire de musique.

Mme Cusson lui propose de l’aider bénévolement. Elle le fait durant plus de quatre ans, transcrivant à la machine les textes que Nicole Trudeau lui dicte.

Farouchement indépendante

Malgré les amitiés sincères et agissantes qu’elle rencontre sur sa route, Nicole Trudeau trouve très dur d’être obligée de demander de l’aide dans certaines circonstances. Farouchement indépendante, elle vit seule dans un appartement de cinq pièces où elle a installé un lit rond et un bureau circulaire. C’est une femme svelte qui a le souci de l’élégance et une prédilection pour les couleurs vibrantes, le jaune et le rouge en particulier, dont elle garde le souvenir. «Quand je porte quelque chose que j’aime, je me sens bien»,  affirme-t-elle.

Sans chien guide mais avec une canne blanche, elle prend le métro et l’autobus pour se rendre à l’université ou à son travail. Elle enseigne, en effet, depuis plusieurs années, la musique à une trentaine d’élèves du secondaire I à l’école Notre-Dame-de-Fatima.

Durant les trois années à Paris où elle fréquentait les cours de Mme Bascourret, à l’École normale de musique, elle n’avait pas vécu différemment. Même si le métro y était autrement plus déroutant qu’ici. Nicole  Trudeau a profité de ce séjour en Europe pour visiter, avec des amis, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Suisse et la Yougoslavie.

Vivre pleinement, en mettant toutes les chances de son côté, c’est sa façon de dire merci à sa mère et à son père, un photograveur à la retraite, qui l’ont encouragée, autant que son frère et sa soeur, à faire des études universitaires.

Avec son doctorat tout neuf, Nicole Trudeau espère voir augmenter ses chances d’enseigner ou de faire un jour de la recherche à l’université… à moins que le ministère de l’Éducation ne lui fasse signe.

Lily Tasso

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Article publié dans :

La Presse / Montréal, mercredi 1er juin 1983 / Lily Tasso / Nicole Trudeau a décroché un doctorat les yeux fermés

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