Aperçu d’une vaste étude comparative et analytique sur les programmes d’enseignement de la musique au Québec et en France réalisée dans le cadre d’une recherche élaborée dans une thèse de doctorat.
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L’éducation musicale à l’école québécoise et à l’école française: ce que nous en révèlent les programmes
Au moment où le milieu éducatif est secoué par la parution, d’une part, et par la mise en application, d’autre part, de nouveaux programmes d’enseignement aux niveaux primaire et secondaire, il devient peut-être encore plus intéressant, sinon important, de raccrocher ce vécu à ce qui existe déjà par le regard objectif et la démarche rigoureuse d’une recherche.
Voici donc, de façon bien concise, quelques observations faites au terme d’une vaste étude sur les programmes d’enseignement de la musique au Québec et en France. Cette étude, qui englobe 29 programmes publiés entre 1969 et 1979, constitue, à la fois, un répertoire de programmes d’enseignement de la musique pour une décennie, une synthèse utile pour prendre connaissance des faits et pour en comprendre l’évolution et un carrefour de réflexions sur l’enseignement de la musique à l’école québécoise et à l’école française.
L’éducation musicale à L’école québécoise et à l’école française: ce que nous en révèlent les programmes, est un titre délibérément très explicite. Il situe, sans équivoque, le sujet traité: l’éducation musicale, éducation dont l’objectif premier est le développement de l’être par la musique. Il détermine le type de l’institution retenue: l’école, lieu fréquenté par tous les jeunes pendant un minimum de dix ans. Il précise les contextes sociologiques retenus : le Québec et la France; il souligne, par conséquent, les systèmes d’éducation impliqués. Il spécifie le matériel d’observation: les programmes d’enseignement; il caractérise, par le fait même, le type de recherche abordé: recherche rigoureusement théorique et qui ne fait parler que les faits: ”les programmes”. Il laisse pressentir l’une des techniques méthodologiques utilisée: technique comparative associée cependant aux techniques descriptive et analytique.
Ce que le titre ne révèle pas, et ce qui occupe une place pourtant importante dans le travail, c’est l’implication des programmes de formation des maîtres dispensés par les institutions universitaires. Cette dimension de l’étude est indispensable pour observer s’il y a, au niveau des faits objectifs (les programmes), continuité des connaissances transmises aux futurs maîtres aux connaissances à transmettre à l’école, en somme, de la formation inculquée à la formation à inculquer.
En réponse à l’interrogation initiale du travail, « Si l’éducation musicale a une place à l’école, quelle est cette place dans les programmes d’enseignement? », nous pouvons affirmer que:
- d’après les projets éducatifs ministériels,
- d’après les programmes publiés et relatifs à la musique,
- d’après la formation des maîtres proposée,
oui, l’éducation musicale a une place à l’école québécoise et à l’école française.
En effet, de part et d’autre, le système d’éducation est centralisé. Ce sont donc les autorités ministérielles qui définissent un ensemble de valeurs éducatives à privilégier au sein desquelles se retrouvent, entre autres, les dimensions affective, esthétique, sociale et culturelle de l’être. De part et d’autre, les autorités ministérielles ont pensé, produit et diffusé des programmes spécifiques pour l’éducation musicale, et ce, pour chacun des quatre niveaux préuniversitaires. Enfin, de part et d’autre, existent des voies pour former des maîtres aptes à assurer l’éducation musicale des enfants.
Tant au Québec qu’en France, la musique est enseignée à tous les niveaux de l’école, ainsi qu’à l’université. Il convient maintenant de préciser, surtout pour le Québec, et de nuancer, toujours par la lecture des textes, ces affirmations générales.
Au Québec, la musique est intégrée aux activités d’éveil à l’école maternelle, niveau d’enseignement dont la fréquentation n’est pas obligatoire mais qui est très répandue. La musique est obligatoire et fait partie de l’initiation aux arts à l’école élémentaire, c’est-à-dire pendant six ans. La musique est obligatoire pendant un ou deux ans, à titre exploratoire, et optionnelle pendant trois ou quatre ans à l’école secondaire. Enfin, la musique est facultative, optionnelle ou objet d’une spécialisation au CEGEP. En somme, la musique est obligatoirement incluse dans le cheminement de l’enfant à l’école pendant un minimum de 53.8% du parcours régulier se terminant avec le CEGEP, soit pendant sept ans sur treize. Ce pourcentage est pourtant de 75% du côté de la réalité française. La différence se situe au troisième jalon de l’école, soit au niveau secondaire, alors que la musique demeure une matière obligatoire pendant 100% de cette étape de quatre ans.
Nous observons que la musique passe des cours obligatoires aux cours optionnels à mesure que l’élève évolue dans son cheminement scolaire et qu’il est soumis au processus d’orientation. Cela se produit à compter de la huitième ou de la neuvième année d’études au Québec (soit à compter des classes de Secondaire II ou Secondaire III) et à compter de la dixième année d’études en France (soit à l’entrée au lycée).
Entre les programmes préuniversitaires québécois et français d’enseignement de la musique, nous observons un nombre restreint de différences fondamentales et les plus significatives se situent au quatrième stade des cheminements scolaires, soit au niveau collégial, d’une part, et au niveau du deuxième cycle des études secondaires, d’autre part. Jusque là, le concept de l’éducation musicale à l’école et la méthodologie de présentation des programmes témoignent de plus de ressemblances que de différences, sur des aspects prioritaires en tout cas.
Les programmes québécois étudiés sont nés du grand mouvement créé par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec. C’est donc de cette effervescence sociale et éducative qu’a jailli la généreuse conception du programme-cadre. Tel que recommandé par le rapport Parent et utilisé intégralement pour l’élaboration des programmes de musique à la fin des années 60, le programme-cadre: «est l’exposition de l’esprit, des objectifs, des concepts et des éléments de la discipline concernée. Au lieu d’être une énumération de matières à assimiler, il sollicite l’initiative et l’imagination créatrice de l’enseignant sur les plans du contenu, des méthodes, de l’évaluation et de l’application, tout en le guidant dans sa tâche. Donc, loin d’être achevé quand l’enseignant le reçoit, le programme-cadre fait appel à la participation des responsables de l’éducation musicale pour assurer un enseignement complet et riche qui tiendra compte des besoins de chaque élève»(1).
Il s’agit donc d’un type de programme «qui corrigera les abus de l’enseignement livresque et stéréotypé que nous avons connue»(2), précise le rapport Parent. Mais ce type de programme, qu’on se permet de qualifier de très idéaliste, est remis en question par le ministère lui-même. Voici donc la critique qu’il en fait :
«Au cours des quelque dix dernières années, l’adoption de programmes-cadres (…) a conduit à une situation problématique. (…) le ministère (…) entend donner au programme d’études une nouvelle orientation en vue de combler les lacunes observées. Cette orientation, (…), visera à ce que les programmes (…) aient une plus grande précision (…)»(3).
Antérieurement à cette autocritique, les programmes de musique destinés aux quatre niveaux préuniversitaires au Québec, et même la majorité des programmes français correspondants, respectent bien la logique de ce type de document. Ils situent tous l’intervention musicale pédagogique dans le sens de l’éducation artistique, éducation où l’art est agent éducateur, où il contribue au développement global de l’être. Ils définissent tous des objectifs généraux explicitant ce concept; ces objectifs sont d’ailleurs quelquefois si « généraux » qu’une lecture parallèle nous les révèle quasi identiques dans le programme destiné aux élèves de l’école élémentaire(4), ainsi que dans le programme destiné aux élèves de l’école secondaire(5), par exemple. Ils précisent, dans les documents québécois particulièrement, les temps forts de l’acquis visé pour chaque enfant, non à court terme (soit à la fin de l’année scolaire), non à moyen terme (soit à la fin d’un cycle), mais bien à long terme (soit après un cheminement de six ans pour le niveau élémentaire, soit à la fin d’un cheminement variant entre un et cinq ans pour le niveau secondaire), par des objectifs du programme. Mais lorsque, par une nouvelle lecture parallèle des programmes s’adressant aux classes élémentaires et secondaires, on constate, une fois de plus, une quasi-identité entre les objectifs du programme, objectifs par définition un peu plus spécifiques que les précédents, on s’étonne, on s’interroge et on s’inquiète même de l’extensibilité du cadre et de l’utilité réelle de cette catégorie d’objectifs, ou plus exactement de son traitement. Après de telles observations, qui se surprendra que le milieu éducatif québécois se soit retrouvé, en peu d’années, tout compte fait, au sein d’une situation fort problématique dans l’enseignement musical, entre autres?
La plupart des programmes répondent encore à la logique du programme-cadre en exprimant l’essentiel du contenu pédagogique par une liste d’éléments de formation succinctement expliqués dans leur approche. Ces éléments sont successivement au nombre de cinq, huit, cinq et dix dans les programmes s’adressant aux élèves des niveaux préscolaire, élémentaire, secondaire et collégial au Québec.(6) Dans les trois premiers cas, les éléments de formation sont nommément présentés. Dans le cas impliquant le niveau collégial, la liste des éléments de formation est le résultat d’une analyse personnelle du contenu car le matériau pédagogique est énoncé par sujets qui englobent eux-mêmes une séquence de cours chevauchant plusieurs sessions. Une démarche analogue a d’ailleurs été appliquée à plus d’un programme français. Par une mise en vis-à-vis, dans le contexte de l’analyse de chacun de ces programmes, des éléments de formation, d’une part, et des objectifs du programme, d’autre part, une adéquation constante a été observée entre les uns et les autres, preuve de l’existence d’une logique interne certaine.
De la comparaison des éléments de formation, clé de voûte des contenus musicaux, se dégagent, d’abord pour le Québec, les constatations suivantes. Quatre éléments concourent au facteur de continuité, puisqu’ils sont présents aux quatre niveaux des études préuniversitaires; il s’agit des éléments : audition, rythmique, chant et improvisation. Trois autres éléments sont communs à trois niveaux préuniversitaires; il s’agit des éléments: instruments, musique d’ensemble(7), et littérature musicale(8). Un élément, soit relaxation, est spécifique au niveau élémentaire et trois éléments, soit harmonie, arrangement, et composition, sont spécifiques au niveau collégial.
Bien sûr, selon les divers programmes, un même élément de formation prend une place et une importance variables. Une telle synthèse mettant en lumière les points communs et les points spécifiques n’illustre pas cette variable mais elle souligne la présence, continue ou non, des diverses composantes de la formation à assurer, d’après le projet éducatif proposé par l’ensemble des programmes.
Les points communs se raréfient sur le plan des éléments de formation lorsque, à la comparaison intra-québécoise, s’ajoutent les données incluses dans les programmes français correspondants. Ainsi, un seul élément de formation, soit audition, est commun à l’ensemble des programmes préuniversitaires impliqués; deux éléments de formation, soit musique instrumentale(9), et chant(10), sont communs à huit des neuf programmes (ou groupes de programmes) étudiés. Et la liste des nombres décroissants des points communs peut se poursuivre. Il faut peut-être encore remarquer que si quatre éléments de formation sont constants au sein du cheminement québécois, deux seulement le sont au sein du cheminement français, soit audition et musique instrumentale; si deux éléments de formation sont spécifiques aux programmes québécois, soit: composition et arrangement, quatre le sont aux programmes français, soit: analyse musicale, technique du son, organologie et lecture à vue instrumentale. Ces caractères spécifiques impliquent des niveaux parallèles des études préuniversitaires, soit le niveau collégial, d’une part, et le niveau secondaire deuxième cycle, d’autre part. Ces mêmes niveaux se distinguent à plusieurs autres égards tels que : le champ spécifique de certains programmes, l’approche méthodologique, l’esprit, les objectifs, la présentation et le traitement de la matière musicale, les éléments de formation musicale, les enseignements généraux minimums, la durée des études, l’évaluation et les horaires.
Après avoir jeté un rapide coup d’œil sur les programmes de musique devant être enseignés à l’école, il convient de feuilleter les annuaires universitaires pour y retenir les programmes de formation des maîtres pour l’enseignement de la musique. À cet égard, trois institutions ont été retenues de part et d’autre.
Avant de commencer les divers cheminements proposés (surtout par le Québec), il parait essentiel d’énumérer quelques caractéristiques liées directement aux systèmes, caractéristiques qui influencent grandement la compréhension des observations plus spécifiques qui vont suivre. Au Québec, enseignants généralistes et spécialistes sont tous formés à l’université. En France, les généralistes sont formés par les écoles normales d’instituteurs et d’institutrices, alors que les spécialistes sont formés à l’université. Tous les professeurs de musique qui œuvrent dans l’enseignement aux niveaux élémentaire, secondaire et collégial au Québec doivent être des spécialistes de cette discipline. En France, cela n’est vrai que pour l’enseignement aux niveaux secondaires premier et deuxième cycles; aux niveaux antérieurs, soit pré-élémentaire et élémentaire, cette responsabilité d’éducation musicale revient à l’instituteur. Il en est d’ailleurs de même pour le niveau préscolaire québécois. Dans la majorité des cas observés au Québec, l’étudiant obtient, parallèlement au grade universitaire, une qualification professionnelle légale attribuée par le ministère de l’Éducation; dans les autres cas, cette qualification professionnelle légale est conditionnelle à l’adjonction, au grade spécialisé, d’un certificat de pédagogie et de didactique. Par la suite, l’obtention d’un poste est le résultat de démarches individuelles d’offres de services. En France, entre les grades universitaires et l’accès au professorat, il y a un concours d’État hautement sélectif : le C.A.P. (certificat d’aptitude pédagogique) pour les instituteurs et le C.A.P.E.S. (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré), section éducation musicale et chant choral, pour les spécialistes en musique. C’est la réussite à de tels concours qui conditionne, non seulement l’accès à la profession, mais aussi l’obtention d’un poste déterminé.
Les huit programmes universitaires québécois illustrent quatre cheminements différents :
- Des cheminements vers une formation générale pour le maitre du préscolaire (trois programmes);
- Un cheminement vers une formation musicale et pédagogique pour le spécialiste en musique aux niveaux élémentaire et secondaire;
- Des cheminements vers une formation musicale spécialisée pour l’enseignement soit à l’élémentaire, soit au secondaire, soit au collégial (deux programmes).
La formation des maîtres français passe par deux cheminements: celui des instituteurs et celui des spécialistes.
Voici, en bref, ce qui a été observé et qu’il faut retenir du dépouillement et de l’analyse de ces divers programmes de formation des maîtres.
Au Québec, la préparation musicale des maîtres du préscolaire est, somme toute, absente des programmes de formation car aucun cours obligatoire n’aborde cette dimension, d’une part, alors que de très rares cours optionnels s’y intéressent, d’autre part. Dans cette dernière catégorie de cours, le programme offert par l’Université de Montréal en propose un seul qui aborde la musique et il se retrouve au sein d’un bloc de cinq cours; le programme offert par l’Université du Québec à Montréal en propose trois centrés sur la musique, l’un à l’intérieur d’un bloc de deux, et deux à l’intérieur d’un bloc de 81 cours. S’il faut se réjouir d’un encadrement un peu plus contraignant, dans un cas, il faut pourtant regretter, de façon générale, une telle carence du côté de la sensibilisation musicale des maîtres qui seront les premiers en contact avec les enfants à l’école. Puisque, en 1979, l’Université Laval n’avait pas encore élaboré de programme pour l’option préscolaire et primaire, il faut souhaiter qu’elle témoignera d’une prise de conscience plus aiguë à l’égard de l’éveil musical lorsqu’elle procédera à la conception et la mise en application de ce baccalauréat spécifique. À l’égard, sinon de la formation musicale, mais du moins de la sensibilisation musicale des pédagogues du préscolaire, la France a le pas sur le Québec car le programme spécifique qui assure la formation des instituteurs inclut, obligatoirement pour tous les étudiants, une sensibilisation musicale dans le cadre de l’unité de formation (U.F.) d’éducation musicale. Cette U.F. comporte 70 heures de travail «encadré» et quelques heures de «mise à niveau».
Au Québec, la formation des spécialistes en musique pour l’enseignement au niveau élémentaire peut s’acquérir par deux cheminements différents mais dont aucun n’est spécifique à ce niveau; ces deux cheminements sont exprimés par l’intermédiaire de trois programmes universitaires. Le plus court de ces cheminements, c’est-à-dire celui qui octroie, après trois ans, le grade de bachelier et la qualification professionnelle légale, est offert par l’Université du Québec à Montréal. Ce programme peut être qualifié de bithématique, puisque les dimensions musicale et pédagogique y sont intégrées. Il est aussi polyvalent, puisqu’il propose cinq orientations possibles à l’intérieur de ses structures; l’une de ces orientations: musicothérapie en milieu scolaire, lui est tout à fait spécifique, même en regard de la situation française observée. Dans le cadre de l’une ou l’autre orientation, 50% et plus des crédits sont affectés aux cours obligatoires et les cours à option sont régis par un encadrement assez contraignant. Sur une banque de 92 cours, 16 sont affectés à la didactique de la musique, proportion qui illustre la concentration maximum observée à l’égard de cette matière. En somme, ce programme universitaire est le seul, au Québec, qui donne accès à deux niveaux d’enseignement de la musique. Cependant, par une analyse approfondie, il a été démontré que ce programme, tout en représentant la voie qui développe le plus de liens avec le contenu de l’enseignement pour le niveau élémentaire, établit des liens encore plus étroits avec le contenu de l’enseignement musical pour le niveau secondaire. Le deuxième cheminement possible pour accéder à l’enseignement de la musique au niveau élémentaire est aménagé par les baccalauréats spécialisés auxquels l’étudiant ajoute un certificat en pédagogie et didactique spécifique au niveau élémentaire. Deux programmes, proposés par l’Université Laval), offrent de tels profils : le baccalauréat en éducation musicale et le baccalauréat en musique (rythmique). Le premier de ces programmes est le seul à énoncer ses objectifs de formation dans la perspective adoptée par les programmes-cadres, soit dans le sens de l’éducation esthétique. C’est également le seul à affecter, au sein des enseignements obligatoires, six crédits aux cours de philosophie de l’éducation musicale. Il faut souhaiter une généralisation de la réflexion permise par de tels cours à l’intérieur de tout cheminement conduisant vers l’action d’éducation musicale à l’école car il parait essentiel d’amener les futurs maîtres à pénétrer réellement l’esprit devant animer la carrière à laquelle ils se préparent. Cet autre baccalauréat, spécialisé en rythmique, s’inscrit également dans le deuxième cheminement pouvant conduire vers l’enseignement au niveau élémentaire. De par sa focalisation sur la dimension rythmique de la formation, ce programme illustre une approche originale, sans équivalence, tant au Québec qu’en France(11). Fait exceptionnel dans le contexte des programmes québécois de formation des maîtres, pas un seul cours de « didaction » ne figure au sein de cette démarche particulière. Cette exception est par ailleurs l’une des constantes des programmes spécialisés de formation des maîtres en France.
Au Québec, on peut accéder à la formation de spécialiste en musique pour l’enseignement au niveau secondaire par trois cheminements universitaires dont un est toutefois spécifique à ce niveau. Les deux premiers cheminements sont identiques à ceux qui conduisent à l’enseignement au niveau élémentaire. Cependant, il faut préciser que les deux programmes de baccalauréat spécialisé alors impliqués développent des liens plus étroits avec le contenu musical du programme destiné aux élèves de l’élémentaire qu’avec celui destiné aux élèves du secondaire. Quant au troisième cheminement, l’Université de Montréal et l’Université Laval en proposent un parcours spécifique. Ces programmes, qui associent une composante majeure en musique à une composante mineure en pédagogie et didactique, sont donc de structure bipartite et de contenu bithématique. La concentration, au sein des cours obligatoires de la composante majeure, de crédits (13/33) centrés sur la pratique et l’animation d’une harmonie scolaire constitue l’une des caractéristiques du programme offert par l’Université de Montréal, programme mis entre parenthèses, pour ainsi dire, pendant quelques années. L’absence, au sein de la composante mineure, de contrainte à obtenir les crédits affectés à la didactique de la musique caractérise aussi ce même programme. Même si ce type de programme est spécifique à l’enseignement de la musique au niveau secondaire et qu’il y conduit par la voie la plus courte, ce n’est pas lui qui engendre les liens les plus étroits entre les contenus de formation destinés au futur maitre, d’une part, et à l’élève, d’autre part. En effet, le programme de l’Université de Montréal est celui qui établit le minimum de liens, alors que le programme de l’Université Laval, ci-dessus impliqué, se situe à peine quelques points plus haut dans la liste des interrelations moyennes mesurées. Les interrogations que semble se poser l’Université de Montréal à cet égard paraissent dès lors tout à fait pertinentes.
Au Québec, on peut accéder à la formation de spécialistes en musique pour le niveau collégial par un cheminement : celui des baccalauréats spécialisés. Deux ont été étudiés dans la présente recherche et, de toute évidence, ils n’ont pas été pensés (ils ne le prétendent pas d’ailleurs) pour acheminer vers ce niveau d’enseignement car ils développent tous deux des interrelations moyennes extrêmement limitées. Il est nécessaire d’ajouter, à ce propos, que même si les étudiants inscrits à ces deux programmes: éducation musicale et rythmique, à l’Université Laval, peuvent également compléter un certificat en pédagogie et didactique pour le niveau collégial, cette qualification professionnelle légale, indispensable pour accéder au professorat aux niveaux élémentaire et secondaire, n’est pas exigée par le ministère de l’Éducation pour les enseignants du CEGEP. Faut-il le regretter? La question est posée et le débat est à engager.
Ayant scruté, d’une part, les programmes préuniversitaires et, d’autre part, les programmes de formation des maitres, on passe au stade des interrelations permettant de mesurer, de chiffrer, la continuité des connaissances transmises aux connaissances à transmettre, de la formation inculquée à la formation à inculquer. Ces interrelations sont de deux ordres: interrelation spécifique et interrelation moyenne. Par interrelation spécifique, on entend le pourcentage résultant de la présence plus ou moins fréquente d’un ou de plusieurs éléments de formation dans la description des cours d’un même programme universitaire. Par interrelation moyenne, on entend le pourcentage résultant de la somme des interrelations spécifiques divisée par le nombre d’éléments de formation propres à chaque programme préuniversitaire.
C’est par l’utilisation de tels instruments d’analyse qu’on peut affirmer :
- Que c’est le programme de baccalauréat d’enseignement en musique, orientation, éducation musicale, qui rejoint davantage le contenu du programme, pour le niveau élémentaire;
- Que c’est le même programme de l’Université du Québec à Montréal, mais par la voie de l’orientation musicothérapie en milieu scolaire, qui développe une relation plus étroite avec le contenu du programme: éducation musicale, pour le niveau secondaire.
- Que c’est le programme en éducation musicale de l’Université Laval qui, au Québec, établit, dans des proportions extrêmement limitées, le plus de liens avec le contenu de la formation prévue pour le niveau collégial, mais que c’est une institution française qui arrive au premier rang des interrelations moyennes avec l’ensemble des programmes décrits pour le quatrième jalon de l’itinéraire solaire.
C’est également à l’aide de ces instruments d’analyse qu’on peut affirmer :
- Que c’est l’aspect instrumental de la formation des jeunes qui engendre une interrelation spécifique supérieure dans la majorité des analyses effectuées pour le Québec;
- Que ce sont les aspects auditifs, vocal et instrumental qui produisent de telles interrelations pour les niveaux pré-élémentaire et élémentaire en France, alors que c’est l’aspect historique de la musique qui est privilégié par les niveaux secondaires; on observe donc ici qu’il y a une nette distinction entre la formation des instituteurs, d’une part, et celle des spécialistes, d’autre part.
De toute évidence, il existe soit un minimum de continuité, soit une certaine continuité, entre la formation inculquée et la formation à inculquer, sauf en ce qui a trait au niveau préscolaire québécois. Que la situation présentée soit idéale, il n’en est rien. Qu’une meilleure adéquation soit à rechercher, dans tous les cas, entre les contenus musicaux à associer, cela est irréfutable et abondamment démontré dans le cadre original de la recherche. Mais, alors, pourquoi les interrelations observées ne déboucheraient-elles pas sur des interactions, sur des concertations et sur des collaborations nouvelles enrichissantes pour l’éducation musicale d’abord, pour le milieu musical en général, pour les citoyens et pour la société québécoise toute entière?
La place de l’éducation musicale à l’école est susceptible d’être modifiée, tant dans le contexte de l’organigramme scolaire que dans celui des contenus d’enseignement. Lorsque l’on détermine des objectifs de recherche, surtout dans un champ aussi peu défriché que représente celui de l’éducation musicale au Québec, on est contraint de les immobiliser, de les figer dans le temps, en quelque sorte. Mais le rythme de la vie, des sociétés et des mouvements qu’elles engendrent, de l’histoire, en somme, nous entraîne tous. Voilà pourquoi, au-delà de cette recherche dont l’objectif préliminaire était de faire une analyse comparative des grilles musicales et des grilles socio-culturelles afin de mettre en interaction les contenus pédagogiques et la réalité socio-culturelle, il faut poursuivre l’étude des documents récemment produits par le ministère de l’Éducation pour l’enseignement de la musique. Cependant, il parait important de considérer ces documents comme de nouveaux maillons d’une même chaîne, puisque la musique a une place significative à l’école publique depuis les 40 dernières années et qu’elle est suggérée comme élément de formation depuis le début du siècle, alors qu’elle figurait au sein des matières facultatives. Le ministère de l’Éducation, qui a 20 ans cette année et qui est présentement le grand maitre d’œuvre des programmes d’enseignement, n’est donc pas le premier organisme central à assumer cette tâche. Le Conseil de l’instruction publique a joué ce rôle pendant plus de cent ans et l’on observe, en feuilletant les anciens programmes, que des réaménagements et des refontes sont effectués de décennie en décennie.
Le milieu musical a une grande responsabilité face à la sensibilisation des enfants à la musique et il faut souhaiter qu’il s’y intéresse de façon à la fois enthousiaste et éclairée, en sachant distinguer, par exemple au sein des remises en question, les éléments vraiment novateurs des éléments de continuité, les uns et les autres devant être adéquatement évalués pour assurer une formation de qualité.
Nicole Trudeau Ph.D.,
Professeur de musique,
Commission scolaire régionale de Chambly.
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NOTES
¹ Gouvernement du Québec, Ministère de l’Éducation, Direction générale de l’enseignement élémentaire et secondaire, service des programmes, Programme d’étude des écoles secondaires, Art, Éducation musicale (Québec: Service des communications du ministère de l’Éducation, 1969), p. 6.
² Parent, Alphonse-Marie et al., Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, volume 2, p. 98.
³ Gouvernement du Québec, ministère de l’Éducation, Énoncé de politique et plan d’action (Québec: Éditeur officiel, 1979), p. 88.
4 Gouvernement du Québec, ministère de l’Éducation, direction générale de l’enseignement élémentaire et secondaire, division des beaux-arts, Programme d’études des écoles élémentaires, Arts, Expression musicale (Québec: Service général des communications du ministère de l’Éducation, 1970).
5 Voir note 1.
6 Préscolaire: rythmique, chant libre et préparation du chant conscient, audition active, improvisation rythmique et mélodique, et initiation aux formes musicales.
Élémentaire: le corps et le rythme, la voix et le chant, l’œil et l’oreille, la relaxation, la langue maternelle musicale, les instruments, la musique d’ensemble, et l’improvisation.
Secondaire: rythmique, langage et lecture de la musique, chant, musique instrumentale, littérature musicale et histoire de la musique.
Collégial: rythmique, audition, chant, harmonie, improvisation, arrangement, composition, instrument, musique d’ensemble, et littérature musicale.
7 Absents du programme préparé pour le niveau préscolaire.
8 Absent du programme préparé pour le niveau élémentaire. On observe ici une brisure dans la démarche de continuité.
9 Absent du programme préparé pour le niveau préscolaire québécois.
10 Absent du programme de baccalauréat de technicien Musique F11, niveau d’éducation musicale.
11 Ce programme de rythmique a été fusionné, en 1983, avec le programme d’éducation musicale.
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Article publié dans:
Les cahiers de l’ARMUQ Association pour l’Avancement de la Recherche en Musique du Québec / no 6, septembre 1985, pp. 28-37 / Nicole Trudeau Ph.D. / L’éducation musicale à l’école québécoise et à l’école française: ce que nous en révèlent les programmes.
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Sur des sujets apparentés :
La ronde des nouveaux programmes