Le braille, objet de découragement ? (2007)

Dans les lignes qui suivent, mon but est de réagir à un commentaire entendu pour la nième fois, commentaire qui, à chaque fois, sonne faux à mes oreilles. Le braille « décourage » les lecteurs récents, parce qu’il y a trop de symboles dans les textes transcrits en braille.

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Le braille, objet de découragement ? (2007)

Le 12 juin dernier (2007), j’ai participé à une réunion d’information au cours de laquelle était présenté un document de travail dont l’objectif est d’uniformiser la pratique du braille dans la francophonie. Tel n’est pourtant pas le sujet abordé dans le présent texte.

Dans les lignes qui suivent, mon but est de réagir à un commentaire entendu pour la nième fois au cours des échanges, commentaire qui, à chaque fois, sonne faux à mes oreilles.

Le braille «décourage» les lecteurs récents,
parce qu’il y a trop de symboles dans les textes transcrits en braille.

Il y a dans de tels propos – qui semblent devenir un refrain — une simplification qui me devient intolérable. Je ne peux plus laisser circuler cette affirmation comme étant une vérité absolue, une conviction inébranlable ou une prétendue réalité.

Si telle est l’approche du milieu de la réadaptation, c’est moi qui suis découragée, non pour moi-même, mais pour ceux qui en seront les «victimes».

Toute intervention en réadaptation (depuis au moins 30 ans) est sans doute pensée en lien avec la philosophie de l’«intégration» et de l’«égalité des chances».

Or, lorsqu’une personne perd la vue, elle ne perd pas son niveau d’alphabétisation, mais elle en perd l’accès et l’usage. Et bien, c’est à ce niveau que devrait intervenir le braille pour redonner à cette personne les outils et la technique nécessaires pour réintégrer l’univers de la lecture et de l’écriture. Le braille ne doit pas être l’instrument du dernier recours, celui qu’on consent à proposer au bout de la chaîne de la réadaptation et en «désespoir de cause».

Le braille est un objet d’apprentissage comme toute nouvelle technique à acquérir. Il faut s’y initier, l’étudier, le fréquenter et l’utiliser pour le maîtriser progressivement. Mais il faut aussi que la pédagogie soit dynamique, stimulante et convaincante. Si on a entendu de-ci de-là que le braille est trop difficile, qu’il est trop tard, que la lecture est trop lente, etc., je comprends que l’on puisse se sentir découragé et, par conséquent, non disposé à investir l’effort et le temps requis par la maîtrise de tout apprentissage à tous les stades de la vie.

Comme l’intervention entendue le 12 juin faisait référence à la revue, Carrefour braille, je me suis prêtée à l’exercice de repérage des symboles, agents de «découragement». J’ai eu en main le vol. 38, no 9, de cette revue de novembre 2006.

Pour l’intelligence de ce qui va suivre, il faut savoir que cette revue en braille est imprimée recto verso et que le texte se présente en mode «braille abrégé». Cette information sous-tend que le lecteur maîtrise l’alphabet braille incluant les ponctuations de base, qu’il est à l’aise avec la lecture d’un texte imprimé recto seulement et qu’il est déjà initié aux abréviations braille. Ce lecteur de Carrefour braille est une personne non seulement alphabétisée mais elle possède à ce stade un bon bagage de compétences en braille.

Voici la liste des symboles sur lesquels ce lecteur pourrait buter au cours des 88 pages de cette revue.

      • les symboles du tiret
      • des parenthèses ouvrante et fermante
      • des guillemets français ouvrant et fermant
      • du guillemet simple
      • du dollar
      • du degré
      • du pourcent
      • de l’appel de note en élévation et de l’introduction de la note                                 proprement dite.
      • de la valeur de base
      • de l’élévation
      • du début et de la fin d’une note du transcripteur
      • d’un mot entièrement en majuscule
      • de l’italique
      • de l’encadré
      • de l’écriture des adresses de courriel et des sites WEB

Plusieurs de ces symboles reviennent de très nombreuses fois à travers la revue. Une telle redondance est un agent de renforcement de la mémoire.

Lorsqu’un lecteur aborde cette revue (ou l’équivalent), il est tout autre que débutant. Il a donc tout à fait la capacité d’assimiler quelques nouveaux symboles qu’il n’aurait pas rencontrés au cours de sa formation ou qu’on aurait omis de lui faire découvrir. C’est là que l’on peut glisser vers «c’est trop lui demander». Si «c’est trop lui demander», est-ce parce que l’on doute de ses capacités? J’espère que non! En l’accompagnant dans la première lecture de ce niveau, on lui fait confiance. À ce stade, c’est ce dont il a le plus besoin.

Depuis 1989, soit depuis presque 20 ans, un Code, développé et implanté au Québec, constitue « la bible » des transcripteurs et des enseignants. Les lecteurs de braille eux-mêmes peuvent consulter cet ouvrage de référence qui a fait l’objet de deux éditions:

1989 — Code de transcription de l’imprimé en braille (1re édition).
1996 — Code pour la transcription en braille de l’imprimé (2e édition).

Ces ouvrages sont toujours disponibles en imprimé et en braille.

J’ai hâte d’entendre (dans le milieu de la déficience visuelle) que le braille est un outil de première importance dans le processus de réadaptation parce qu’il permet de se réapproprier la lecture et l’écriture (l’alphabétisation, en somme), ainsi que la très grande autonomie que cette technique permet.

En guise de conclusion, je « supplie » les professionnels qui accompagnent les personnes en perte de vision, de replacer l’apprentissage du braille au cœur des programmes de réadaptation et de le revaloriser avec dynamisme et enthousiasme.

Dédramatisons l’apprentissage du braille, je vous prie! C’est une voie d’ouverture et de découverte!

Nous avons des doigts pour toucher et des oreilles pour entendre, les uns ne remplacent pas les autres!

Nicole Trudeau Ph.D.
chercheure invitée,
Université de Montréal
domaine de recherche: Le graphisme tactile – sa normalisation
champ spécifique de recherche: L’analyse de l’image visuelle

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(Texte non publié mais qui a fait l’objet d’une large diffusion électronique au Québec auprès des établissements de réadaptation, des associations régionales, des listes de diffusion du milieu de la déficience visuelle et des journaux.) Septembre 2007.

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