Analyse de l’image visuelle, étape incontournable avant son adaptation tactile

Le titre de la communication présentée à l’ACFAS donne les quatre clés de la recherche en cours: l’objet, l’hypothèse, la problématique et la démarche méthodologique. Cette dernière s’appuie sur un nouvel outil: les fiches d’analyse.

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Analyse de l’image visuelle, étape incontournable avant son adaptation tactile

Présentation

Le titre de la communication: Analyse de l’image visuelle, étape incontournable avant son adaptation tactile, donne les quatre clés de la recherche en cours.

    • L’image visuelle en est l’objet.
    • Le titre intégral énonce l’hypothèse.
    • L’analyse indique la démarche méthodologique.
    • L’adaptation tactile cible la problématique.

Compte tenu du cadre de la rencontre, je vais concentrer le propos autour des quatre éléments que je viens de citer.

Toutefois, pour vous situer dans le contexte général de la recherche, retenez que la normalisation du graphisme tactile en est l’objectif ultime. Retenez également que c’est l’évolution de la recherche dans cet univers vaste et complexe qui m’a conduite vers l’analyse de l’image visuelle.

Pourquoi l’image visuelle ?

Pourquoi l’image visuelle? Pour l’observer, la comprendre, en dégager les composantes, classer ces dernières et les hiérarchiser. Cette étape m’est apparue nécessaire, essentielle même avant de tenter de formuler des normes pour encadrer le traitement tactile de l’image visuelle.

Les documents étudiés

Comme je travaille exclusivement avec du matériel scolaire approuvé par le ministère de l’Éducation du Québec, je suis en présence de manuels conçus pour une lecture visuelle et, parallèlement, traités dans l’optique de la pédagogie par l’image. Les manuels utilisés en classe doivent, pour les non-voyants qui la fréquentent, avoir leur contrepartie tactile. De là, l’importance de bien maîtriser l’image visuelle et d’en saisir la fonction.

Illustration du propos

Pour rendre tangible le propos, je vous soumets quelques images extraites du manuel d’histoire générale destiné aux élèves du niveau secondaire II: Enjeux et découvertes.¹

Page couverture du manuel

Tout d’abord, la page 222.

Page 222 du manuel

On y observe trois images qui font partie d’un ensemble de six images réparties sur deux pages en regard.

De retour à la page 222, mais pour observer l’une des images que vous venez d’apercevoir. Le titre en est: «Document 9.13 Le plan d’une cathédrale gothique».

Le plan d'une cathédrale gothique

La taille de ce dessin est de 5 X 8 cm, ce qui correspond à 10% de la page. La consigne associée à ce dessin demande: «Quel symbole religieux la forme de la cathédrale évoque-t-elle?» Le dessin illustre le plan d’une cathédrale gothique. Différentes composantes de l’architecture sont identifiées.

Une dernière image de la page 222. Le titre en est: «Document 9.12 Les bâtisseurs d’églises».

Les bâtisseurs d'églises

La taille de cette image est de 10 X 7 cm, ce qui correspond à 22 % de la page). La consigne se lit comme suit: «Décris les différents travaux exécutés par les ouvriers.» Il s’agit d’un dessin de style médiéval qui représente des artisans sur le chantier d’une église, ainsi que plusieurs églises en construction. C’est une vue d’ensemble à la perspective très profonde; elle se développe sur sept plans.

Enfin, l’image de la page 127. Le titre en est: «Doc. 6.4, Le plan d’Athènes.»

Le plan d'Athènes

La taille de ce dessin est de 8,5 x 11 cm, ce qui correspond à 25 % de la page. La consigne associée à ce dessin se compose de deux éléments: «Compare le plan d’Athènes avec ceux des villages de Merhgarh et de Tell es-Sawwan, au chapitre 5. Quel élément de continuité peux-tu observer?» Il s’agit d’un plan représentant le site de la cité d’Athènes, en Grèce, au 5e siècle av. J.C. On y retrouve de petits graphiques et des noms qui permettent de situer les lieux importants, les zones d’activités et les voies d’accès ou de circulation.

Comme pour moi, sans doute, vous vous sentez étourdis par les embûches que vous pressentez pour en arriver à exprimer, sous forme tactile, le contenu de ce que vous venez de voir. Et dans le seul premier tome de Enjeux et découvertes, il y a des centaines d’images.

Des interrogations

Les questions soulevées sont, et demeurent, les suivantes :

      • Que faire et comment faire pour que de telles illustrations visuelles communiquent tactilement l’information pédagogique recherchée pour et par l’élève non-voyant?
      • Qu’est-ce qu’il faut conserver de l’illustration visuelle?
      • Qu’est-ce qu’il faut supprimer lors de l’impression tactile?
      • Comment choisir?
      • À partir de quels critères?
      • Avec quel outil méthodologique?
      • etc.

C’est en travaillant à la conception, à l’élaboration et à la validation d’un outil méthodologique que je souhaite amorcer des éléments de réponse.

La perception sensorielle

À la base, il faut prendre acte que la perception visuelle et la perception tactile sont des processus sensoriels complètement différents. À cause de cela, il est rare de pouvoir reproduire, sous forme tactile, des représentations visuelles sans les retoucher pour les rendre lisibles tactilement, c’est-à-dire, pour respecter les caractéristiques du toucher.

L’approche méthodologique

L’approche analytique a été choisie, question de se retrouver dans cette profusion de sollicitations visuelles. Le texte proprement dit ne fait pas l’objet de l’analyse. Louis-Braille a bien fait son travail et donné aux aveugles les moyens pour accéder à l’écrit.

D’ailleurs la normalisation du braille pour les documents en français a été consignée et publiée en 1989 sous la forme d’un code intitulé: Code de transcription de l’imprimé en braille.² Cet ouvrage a été officiellement adopté par le ministère de l’Éducation du Québec. Il a fait l’objet d’une deuxième édition en 1996 sous le titre : Code pour la transcription en braille de l’imprimé.³

Page couverture du Code pour la transcription en braille de l'imprimé, tome 1, édition 1996

L’outil méthodologique

L’outil méthodologique créé, en phase de développement et de validation, est constitué de trois fiches d’analyse dont l’objet est différent. Du point de vue graphique, l’une est dédiée à l’examen du livre. Une seconde est centrée sur chacune des pages. Enfin, une troisième aide à inventorier chaque image. Chacune des fiches se compose de plusieurs éléments et sous-éléments. La fiche d’analyse du livre s’articule autour de deux éléments et de nombreux sous-éléments. La fiche d’analyse de la page est faite de onze éléments. La fiche d’analyse de l’image regroupe 12 éléments. Les fiches délimitent le champ d’observation et constituent un support pour accumuler, de façon ordonnée, les données existantes. Ces dernières seront compilées puis synthétiser pour les rendre éloquentes. Les fiches sont structurées mais souples, ce qui est nécessaire pour refléter le contenu graphique spécifique d’un manuel scolaire.

Mais, l’outil méthodologique ne saurait être complet sans l’étape ultime de la compilation des données. On parle alors de fiches de synthèse. Elles devraient faire émerger les grandes tendances et réalités graphiques d’un ouvrage.

Les manuels analysés

Cinq manuels de l’élève ont ainsi été soumis à ce type d’examen: quatre manuels de mathématiqueet un manuel d’histoire générale.

La compilation et la synthèse des données sont complétées pour les manuels de mathématique. J’en suis au stade de l’interprétation, et de la comparaison. Quant au cinquième manuel, celui d’histoire générale, Enjeux et découvertes, tome 2, les trois fiches d’analyse sont en voie d’être complétées.

Les fiches d’analyse, dans leur ensemble, introduisent au coeur de l’une des problématiques du graphisme tactile, l’image visuelle, et mènent sur la voie tangible d’une normalisation émergente, souhaitable et généralement souhaitée.

Le lexique

Un lexique a été constitué pour minimiser les risques de confusion dans l’interprétation des termes utilisés à l’intérieur des fiches d’analyse. Chacun des mots et chacune des expressions retenus sont accompagnés de l’énoncé du sens qui leur est attribué dans le cadre de la présente recherche. Par exemple, un élément graphique dont la forme et la signification sont constantes à travers tout l’ouvrage est désigné SYMBOLE.

Loupe

Dans ce sens, lorsqu’une loupe désigne toujours, à l’intérieur d’un ouvrage, –un élément observé de plus près –, la loupe est traitée comme un symbole. Une fois cette observation faite, reste à déterminer l’équivalent tactile et à l’utiliser de façon unilatérale tout au long de la transcription.

En généralisant cette façon de faire, un symbole, constant visuellement, devrait inspirer une pratique tout aussi constante dans l’univers tactile.

Réflexion éclairante

La confusion entre le braille et la représentation tactile de l’image est un écueil à éviter. Les conventions alphabétiques, numériques et musicales du braille ont épousé, au niveau du sens seulement, les conventions déjà bien stabilisées dans la pratique visuelle: la lettre a en imprimé et la lettre a en braille ont exactement le même sens, mais les signes s’ignorent.Lettre A en imprimé et en braille L’alphabet braille et l’alphabet visuel ne se distinguent que par le signe. Le braille est un système fermé à l’intérieur duquel les choix sont limités, les dimensions essentiellement invariables, etc. L’alphabet visuel permet davantage de souplesse mais il demeure un système à l’intérieur duquel le signe et le sens sont indissociables.

Le monde de l’image visuelle n’obéit pas à des conventions aussi encadrées. Les possibilités et choix de représentation sont quasi illimités. En ajoutant à ces réalités les caractéristiques perceptuelles de la vue et du toucher, caractéristiques qui ne sauraient être ignorées, on entrevoit un univers où tout est encore à découvrir, à comprendre et à faire.

Conclusion

C’est pour contribuer à la réalisation de productions de plus en plus planifiées, de plus en plus cohérentes et de plus en plus structurantes pour le lecteur aveugle que le travail de recherche en cours est soutenu par le ministère de l’Éducation du Québec.

Que les non-voyants soient mis en contact avec du matériel graphique décodable, porteur de sens et enrichissant, telle est la pensée qui sous-tend tout le travail. L’image tactile pourrait ainsi contribuer à la représentation et à la compréhension du réel et parallèlement à nourrir l’univers de l’imagerie mentale.

NOTES :

1.ROBY, Jean et PARADIS, Christiane / Enjeux et Découvertes, Tome 1 et Tome 2 (manuel de l’élève) / Histoire générale Secondaire, deuxième année / Éditions HRW – Groupe Éducalivres Inc. / Deuxième trimestre 1995, 568 pages (Tome 1 : pp. 1-280 ; Tome 2 : pp. 281-568) / Manuel approuvé par le ministère de l’Éducation du Québec, 18 novembre 1997.

2.GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science, / Code de transcription de l’imprimé en braille, tome I / Conception des normes: Paul-Henri Buteau et Nicole Trudeau / rédaction: Nicole Trudeau / dépôt légal quatrième trimestre 1989, ISBN 2-550-20270-8 / 375 p.

3.GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Ministère de l’Éducation, Direction des Affaires universitaires et scientifiques, / Code pour la transcription en braille de l’imprimé (Code de base) tome I / Deuxième édition revue et corrigée / Conception et réalisation: Nicole Trudeau / dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec 1996, / ISBN 2-550-30216-8, 326 p.

4.CHAMPAGNE, Gilles et DUBOIS, Carolle / Tandem 1 (manuel de l’élève) Mathématique, Primaire, premier cycle, première année / Les Publications Graphicor Inc. / Troisième trimestre 1991, 112 pages / Manuel approuvé par le ministère de l’Éducation du Québec 25 novembre 1991.

CHAMPAGNE, Gilles et DUBOIS, Carolle / Tandem 2 (manuel de l’élève) / Mathématique, Primaire, premier cycle, deuxième année / Les Publications Graphicor Inc. / Deuxième trimestre 1992, 143 pages / Manuel approuvé par le Ministère de l’Éducation du Québec, 5 janvier 1993.

CHAMPAGNE Gilles, MALLETTE Danièle GINGRAS-PELLERIN Colette / Tandem 3 (manuel A de l’élève) / Mathématique, Primaire, premier cycle, troisième année / Les Publications Graphicor Inc. / Deuxième trimestre 1993, 143 pages / Manuel approuvé par le ministère de l’Éducation du Québec, 21 juin 1994.

CHAMPAGNE Gilles, MALLETTE Danièle GINGRAS-PELLERIN Colette / Tandem 3 (manuel B de l’élève) / Mathématique, Primaire, premier cycle, troisième année / Les Publications Graphicor Inc. / Quatrième trimestre 1993, 144 pages / Manuel approuvé par le ministère de l’Éducation du Québec, 21 juin 1994.

5.ROBY, Jean et PARADIS, Christiane, / op. cit.

Nicole Trudeau Ph.D. chercheure,
Université du Québec à Montréal (UQAM)
Domaine de recherche: Le graphisme tactile – sa normalisation
Champ spécifique de recherche: L’analyse de l’image visuelle dans les manuels scolaires approuvés par le ministère de l’Éducation du Québec et en usage dans les écoles primaires et secondaires.

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Source:

72e colloque de l’Association francophone pour le savoir ACFAS / Université du Québec à Montréal (UQAM) / Montréal, le 10 mai 2004 / Nicole Trudeau Ph.D. / Analyse de l’image visuelle, étape incontournable avant son adaptation tactile

Communication présentée mais non publiée

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