La normalisation du graphisme tactile – pistes de réflexion

Le matériel graphique adapté en mode tactile est-il représentatif et pédagogiquement utile? Telle est la question posée aux participants de l’Atelier sur la représentation de l’image en reliefs pour les élèves aveugles en situation d’études (Shédiac 1995). Mon intervention.

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La normalisation du graphisme tactile – pistes de réflexion

Le matériel graphique adapté en mode tactile est-il représentatif et pédagogiquement utile?

Cette question, posée dès le premier paragraphe de l’invitation à ces journées de réflexion, cible le coeur de la problématique et provoque de multiples sous-questions.

D’entrée de jeu, il me paraît essentiel de distinguer deux avenues de solutions:

– les solutions quotidiennes aux problèmes urgents de disponibilité du matériel (tâches des enseignants et des producteurs)

– et les solutions résultant d’un cheminement de réflexion, d’analyse, d’observation, d’expérimentation, de validation, de consultation (tâches de la recherche), laquelle doit progressivement conduire à une normalisation de divers paramètres, puis à des orientations pédagogiques pour l’apprentissage de la lecture du matériel tactile.

C’est au titre de responsable du projet de recherche sur la normalisation du graphisme tactile que je réfléchis à haute voix en votre présence. Je dois d’abord préciser que ce projet se développe à l’Université du Québec à Montréal grâce au soutien financier du Gouvernement du Québec.

La thématique de la normalisation du graphisme tactile s’inscrit dans un plus vaste projet de recherche, commencé en 1985, sur la normalisation du braille. En 1989, une première étape du projet global a été franchie lors de la publication du Code de transcription de l’imprimé en braille tome I. Une version révisée de cet ouvrage sera disponible prochainement.

Ma tâche ne consiste donc pas à réaliser quotidiennement des planches tactiles, mais plutôt à chercher comment en arriver là en respectant le pourquoi de l’image tactile. En bout de piste, je dois proposer des normes susceptibles de mener à la production de planches tactiles décodables et porteuses d’information, comme j’ai la tâche de proposer des normes pour standardiser la production d’ouvrages en braille. En somme, les finalités du projet de recherche sur la normalisation du graphisme tactile s’expriment ainsi:

– établir des normes pour la production du matériel graphique en mode de décodage tactile;

– constituer une banque informatisée d’éléments graphiques répondant aux normes définies.

Si le parallèle semble aller de soi entre la normalisation du braille et la normalisation du graphisme tactile, cette évidence s’évanouit dès l’amorce d’une réflexion systématique.

La normalisation du braille se fait à partir d’un système déjà fortement structuré. En fait, ce n’est pas le braille qui fait véritablement l’objet de normalisation mais plutôt le format dans lequel on doit le présenter. La normalisation du graphisme tactile pose un problème d’un tout autre ordre, puisque le système à partir duquel une image peut être tactilement décodée n’existe pas. Dès lors, des questions aussi essentielles que complexes doivent obtenir des réponses d’une objectivité plus grande que celle qui consiste à exprimer une opinion. Voici quelques-unes de ces questions:

Qu’est-ce donc que le graphisme tactile? La représentation sur une surface d’une image permettant un décodage par le toucher? Dès lors, les composantes de l’image doivent, au minimum, offrir un relief.

De quelle importance doit être le relief?

Si l’on utilise simultanément plus d’un relief, de quel ordre doit être la différence entre chaque relief pour que la discrimination tactile opère de façon significative?

Quelle distance entre les lignes et les points permet une véritable discrimination et, par conséquent, un décodage porteur d’informations spécifiques?

Est-il pertinent d’exprimer tactilement le volume et la perspective? Si oui, de quelle manière?

Jusqu’à quel degré de complexité le décodage tactile donne-t-il accès?

Selon quels critères l’image visuelle doit-elle être analysée avant d’être reproduite et plus généralement adaptée en mode tactile?

À ces questions fondamentales auxquelles la recherche n’a pas encore répondu de façon concluante s’ajoute une question d’ordre mécanique: à partir de quel équipement les images tactiles seront-elles réalisées de façon satisfaisante et surtout significative pour les utilisateurs?

Après un cheminement de recherche et d’évaluation, le projet a successivement éliminé l’imprimante braille, adopté l’imprimante à jet d’encre Pixelmaster (outil qui a permis de franchir un bon pas en testant des paramètres de base et en fournissant les moyens de bâtir le matériel nécessaire à la conduite de trois expérimentations formelles) puis, avec le concours technique du Centre Louis-Hébert de Québec, développé ce qui est devenu Graphtact.

Le potentiel tactile de Graphtact s’est progressivement raffiné et devrait continuer d’évoluer dans ce sens par la conjugaison des objectifs spécifiques de recherche (objectifs liés à la conceptualisation, à l’adaptation, à l’analyse, à l’expérimentation, à la validation, à la normalisation, etc.) et du développement technique devant mener à des solutions de faisabilité pour satisfaire aux besoins et attentes du projet de recherche.

À ce jour, un bagage considérable d’éléments graphiques ont été testés, analysés, mis en situation et des ébauches de normes ont été formulées.

Le projet de recherche sur la normalisation du graphisme tactile est un projet de nature empirique. Il doit permettre de mettre à la disposition des utilisateurs du matériel graphique tactile de qualité au niveau de la lisibilité des symboles, de la clarté du format, de la précision de l’information communiquée et de la standardisation de la production. Mais, des besoins pressants de recherche dans les domaines de la psychologie, de l’éducation, de la cartographie, de l’ingénierie, des sciences informatiques, voire, de l’intelligence artificielle, sont ressentis pour établir des bases solides, pour disposer de systèmes de références, pour développer un cadre d’analyse contextuelle de l’image, pour ancrer des méthodologies de présentation et de lecture de l’image tactile et pour élaborer des pédagogies nécessaires à la formation des lecteurs et des producteurs.

Si nous sommes ici, c’est que nous avons ressenti et compris, par diverses avenues, les besoins, d’une part, mais aussi la complexité du sujet et de l’objet. Pour moi, il est non seulement nécessaire mais urgent que la recherche, tant fondamentale qu’empirique, se développe dans toutes les disciplines qui gravitent autour de la représentation de l’image en mode tactile et de son décodage. C’est en comprenant mieux les divers mécanismes qu’il sera possible de parvenir à des solutions satisfaisantes et porteuses de sens.

Nicole Trudeau Ph.D.
professionnelle de recherche Université du Québec à Montréal,
chargée du projet de recherche sur la normalisation du braille et du graphisme tactile

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Communication non publiée présentée dans le cadre de l’Atelier sur la représentation de l’image en relief pour les élèves aveugles en situation d’études / 17-20 août 1995 / Shédiac, (Nouveau-Brunswick) / Nicole Trudeau Ph.D. / La normalisation du graphisme tactile – pistes de réflexion  / Communication présentée mais non publiée.

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Sur des sujets apparentés:

Procédure d’utilisation et spécifications du prototype Graphtact

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