Un défi pour le braille ou pour ses amis et utilisateurs ?

Bernard Pivot, à la tribune de sa prestigieuse émission littéraire, «Apostrophe» présentait récemment des ouvrages sur cassettes préparés par de grandes maisons d’édition et lus par de non moins grandes voix de la scène et des média. Les échanges ont fait ressortir peut-être l’une des distinctions majeures entre la lecture proprement dite et la «lecture auditive».

***

Un défi pour le braille ou pour ses amis et utilisateurs ?

Un événement déclencheur  

Bernard Pivot, à la tribune de sa prestigieuse émission littéraire, «Apostrophe» (émission produite par la télévision française et diffusée, entre autres, au Québec), présentait récemment des ouvrages sur cassettes préparés par de grandes maisons d’édition et lus par de non moins grandes voix de la scène et des média. Les échanges entre Bernard Pivot et ses invités (auteurs et lecteurs) ont fait ressortir peut-être l’une des distinctions majeures entre la lecture proprement dite et la «lecture auditive»: l’une crée une intimité avec le texte, alors que l’autre en propose une interprétation, dans le sens théâtral du terme.

J’ai vraiment été à la fois intéressée et amusée par de tels échanges car le milieu des aveugles brasse des idées de cette nature depuis plusieurs années. Je trouve passionnant d’entendre des points de vue venant d’autres sources. Ils enrichissent le propos et peuvent contribuer à le nuancer. Après tout le livre lu et le livre écouté peuvent s’adresser à un même lecteur, n’est-ce pas?

Fondamentalement, j’adhère à cette distinction qui a été articulée à la tribune littéraire «Apostrophe». Je reconnais à la prise de contact matériel, personnel et intime avec un livre une relation privilégiée qui ne fait intervenir que le contenu de l’ouvrage et la réceptivité du lecteur. Je reconnais également que, dans le «livre parlé», le contenu passe par une certaine filtration car, aussi parfaite et agréable que soit la lecture à haute voix, elle ajoute à l’œuvre la marque, la compréhension et même la personnalité de l’interprète.

La vue versus le toucher  

C’est sans doute une lapalissade de répéter que le braille est aux aveugles ce que l’imprimé courant est aux voyants. L’un et l’autre permettent aux lecteurs ce contact privilégié et unique avec le texte, avec son contenu spécifique, et engendrent cette interaction enrichissante.

Bien sûr, à la différence de l’œil qui permet une saisie globale de l’image, la sensibilité tactile contraint à une construction progressive de cette dernière. Mais, au bout de la démarche, l’assimilation peut être équivalente, à condition que tous les éléments nécessaires à la construction de l’image soient présents dans le matériau fournisseur d’informations de première main.

Le défi du braille  

Le raffinement de la conception visuelle, de la graphie et des techniques d’impression introduit de plus en plus dans les ouvrages (possiblement davantage dans les ouvrages didactiques) des éléments spécifiques à ces techniques visuelles, éléments souvent indispensables à la compréhension du contenu. Cette réalité pose un défi stimulant à l’impression en braille qui doit être absolument fidèle au contenu de l’ouvrage. Ce défi  consiste donc à trouver les moyens de respecter l’édition de l’imprimé courant, dans tous les aspects liés à la  saisie du contenu véhiculé.

La cécité, par essence, refuse la saisie de l’imagerie extérieure, environnementale, peut-on dire, mais elle ne doit pas, aujourd’hui plus que jamais, trouver là prétexte à un cantonnement dans un univers mental et intérieur restreint. La représentation mentale, la vision intérieure constituent un potentiel réel pour la personne aveugle et le braille peut et doit en être un instrument de développement, puis de communication avec l’image environnementale dans la mesure où l’on s’applique à épuiser les ressources qu’il offre. À nous d’aller de  l’avant!

L’impression braille dans la francophonie  

Le travail d’élaboration de normes pour la transcription en braille du matériel littéraire, et plus spécifiquement didactique, travail initié au Québec, est une dynamique et heureuse entreprise. Le projet se poursuit cette année grâce, entre autres, à l’implication de la Commission scolaire régionale de Chambly qui s’associe à l’un des plus ardents désirs des organismes et des personnes impliqués dans un tel dossier, soit celui d’établir un consensus au sein de la francophonie autour d’un tel code en préparation.

Le braille n’est qu’une technique qui, comme toutes les autres, peut et doit faire la preuve d’une sophistication potentielle, non pour lui-même mais au service des gens pour qui il a été conçu.

Nicole Trudeau Ph.D.

—-

Article publié dans:

«INFO-DOC» Bulletin du centre de documentation de l’Institut Nazareth et Louis-Braille avec la collaboration de l’École Jacques-Ouellette / Printemps 1987, vol. 3, Numéro 1, pp. 3-6 / Nicole Trudeau Ph.D. Éditorialiste invitée / Un défi pour le braille ou pour ses amis et ses utilisateurs?

Envoyer un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *