L’auteur, compositeur et interprète de La langue de chez nous, Yves Duteil, a, une fois de plus, incontestablement touché l’une des fibres les plus sensibles du cœur de chacun des auditeurs réunis pour l’entendre à Montréal, vendredi, le 7 novembre 1986.
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L’héritier des Brassens et Leclerc
«C’est une langue belle avec des mots superbes
Qui porte son histoire à travers ses accents
Où l’on sent la musique et le parfum des herbes
Le fromage de chèvre et le pain de froment
Et du Mont Saint-Michel jusqu’à la Contrescarpe
En écoutant parler les gens de ce pays
On dirait que le vent s’est pris dans une harpe
Et qu’il en a gardé toutes les harmonies
Dans cette langue belle aux couleurs de Provence
Où la saveur des choses est déjà dans les mots
C’est d’abord en parlant que la fête commence
Et l’on boit des paroles aussi bien que de l’eau
Les voix ressemblent aux cours des fleuves et des rivières
Elles répondent aux méandres, au vent dans les roseaux
Parfois même aux torrents qui charrient du tonnerre
En polissant les pierres sur le bord des ruisseaux
C’est une langue belle à l’autre bout du monde
Une belle de France au nord d’un continent
Sertie dans un étau mais pourtant si féconde
Enfermée dans les glaces au sommet d’un volcan
Elle a jeté des ponts par-dessus l’Atlantique
Elle a quitté son nid pour un autre terroir
Et comme une hirondelle au printemps des musiques
Elle revient nous chanter ses peines Et ses espoirs
Nous dire que là-bas dans ce pays de neige
Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout
Pour imposer ses mots jusque dans les collèges
Et qu’on y parle encore la langue de chez nous
C’est une langue belle à qui sait la défendre
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie
Et de l’île d’Orléans à la Contrescarpe
En écoutant chanter les gens de ce pays
On dirait que le vent s’est pris dans une harpe
Et qu’il a composé toute une symphonie.»
L’étincelle
L’auteur, compositeur et interprète de ces lignes, de cette chanson, Yves Duteil, a, une fois de plus, incontestablement touché l’une des fibres les plus sensibles du cœur de chacun des auditeurs réunis pour l’entendre à Montréal, vendredi, le 7 novembre dernier. La qualité de l’écoute, d’une part, la spontanéité, l’intensité et la fièvre de la réaction à cette chanson, d’autre part, en sont un témoignage à la fois éloquent et émouvant.
La langue de chez nous, chanson dédiée à Félix Leclerc et créée à Montréal en 1985, a aussi séduit l’intelligence des Immortels de notre langue, puisque l’Académie française l’invitait récemment à inaugurer l’exposition de l’Institut de France1 avec cette chanson et lui décernait sa médaille d’argent.
L’amoureux de la langue
«Au pays de la francophonie» Yves Duteil «est un chevalier occupé à défendre une langue harcelée de toutes parts, une langue pourtant reconnue « chantante » (…)».2 Ce troubadour, comme on se plaît à le nommer, affirme que la langue «représente l’image d’un patrimoine qu’on a tous en commun, en dehors de nos divisions politiques et sociales. »3
«Les mots?», s’exclame-t-il, «C’est poser une lumière sur les choses que l’on voit. C’est le patrimoine, le reflet de la beauté, C’est l’accumulation des choses fines vraies… (…)».4
L’ambassadeur et son oeuvre
Né à Neuilly (banlieue parisienne) en 1949, l’itinéraire de Yves Duteil témoigne d’une carrière sans cesse montante, particulièrement depuis 1972. Après deux ans de tournées de promotion au Québec, c’est en 1983 qu’il y présente son premier spectacle. Depuis lors, il y revient chaque année. hors frontières, on le retrouve aussi en Belgique, au Japon, en Corée, en Nouvelle-Calédonie, à l’île de la Réunion, etc.
Si La langue de chez nous culmine au firmament du répertoire de Yves Duteil depuis 1985, après Prendre un enfant qui y scintille depuis bientôt près de dix ans, il ne faut pas oublier que cet auteur-compositeur nous a déjà offert une importante discographie dont la diffusion se chiffre à plus de quatre millions d’albums et qu’il s’est mérité 40 disques d’or, sans parler des nombreux autres prix et des multiples décorations.
Duteil et ses pères
On reconnaît à Yves Duteil une importante filiation. «Il est», écrit-on, «le fils musical de Georges Brassens et de Félix Leclerc, le cousin de Brell et de Vigneault. Comme eux, il a le don d’écrire des chansons qui contournent le temps: il nous ramène à la chanson première, celle qui n’a pas besoin d’artifices, parce que juste, simple et vraie. (…)»5
Duteil, l’authentique
«Duteil ne négocie pas la chanson. Elle lui appartient en toutes pièces.»6 «Ses chansons, souvent très courtes, plongent leurs racines dans ce vieux fond mélodique français: ses farandoles, ses ritournelles, ses gigues, viennent du Moyen-âge, de la Renaissance».7 «Il n’a jamais écrit du pop, n’a jamais consenti à faire du vidéo-clip, n’a servi d’autre courant que le sien avec un attachement profond à la langue de la francophonie (…)».8
«La chanson c’est artistique d’abord. La chanson, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. C’est parler au cœur de tous les publics»9, confie-t-il.
À la fois lucide et positif
Chez lui, la lucidité ne tue pas le rêve, peut-être le stimule-t-elle? Écoutons-le s’expliquer. «On vit une période difficile, où on est en train de tuer nos racines, nos pères. On a des manques douloureux a tellement dans la société»10. «(…) les chansons sont une victoire sur le malheur (…) elles doivent nous aider à monter plus haut (…), à planer au-dessus des désastres (…)».11
Yves Duteil est perçu comme un être «collé à l’actualité émotionnelle de son époque», comme un être qui «distille un antidote musical contre la méchanceté et la bêtise, (…)»12. Puisse-t-il rejoindre et toucher l’essentiel d’un nombre croissant d’individus.
Nicole Trudeau Ph.D.
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NOTES
1 L’Institut de France dont la fondation remonte à la fin du XVIIIe siècle, regroupe les cinq grandes Académies au nombre desquels se retrouve l’Académie française.
2 Extrait du programme du spectacle présenté à la Place des arts le 7 novembre 1986.
3 Agence France-Presse, dans L’’Oscar de la chanson à Duteil dans La Presse, 7 novembre 1986.
4 BEAUNOYER, Jean, Yves Duteil, la chanson qui reste quand on a tout oublié dans La Presse, 1er novembre 1986.
5 Extrait du programme du spectacle présenté à la Place des arts le 7 novembre 1986, op. cit.
6 BEAUNOYER, Jean, La Presse, 22 février 1985, cité dans le programme du spectacle présenté à la Place des arts le 7 novembre 1986.
7 CAUCHON, Paul, Le Devoir cité dans le programme du spectacle présenté à la Place des arts le 7 novembre 1986.
8 BEAUNOYER, Jean, Yves Duteil, la chanson qui reste quand on a tout oublié, op. cit.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Extrait du programme du spectacle présenté à la Place des arts le 7 novembre 1986, op. cit.
12 Ibid.
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Article publié dans :
Carrefour braille / vol 19 no 1 janvier 1987 / (publication en braille) / Feuillet spectacle / Nicole Trudeau, Ph.D. / L’Héritier des Brassens et Leclerc / Cet article a d’abord été publié dans À la ronde, (Revue de la Fédération des associations des musiciens éducateurs du Québec) / vol 6 no 2, novembre-décembre 1986, pp. 17-20 / Nicole Trudeau, Ph.D. / sous le titre La langue de chez nous
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La langue de chez nous interprétée par l’auteur Yves Duteuil