La joie de vivre c’est: Nicole Trudeau une perle rare

Je ne sais pas trop pourquoi, mais certaines femmes me font penser à des perles. Nicole Trudeau en est une: discrètement jolie, élégante, raffinée, cultivée. (…) Elle est professeur de musique. Et aussi, elle est aveugle. Une entrevue signée Raymonde Bellerive.

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La joie de vivre c’est: Nicole Trudeau une perle rare

Photo de Nicole Trudeau au piano
Légende: Entendre Nicole au piano, c’est un régal dont on ne peut se lasser.

Je ne sais pas trop pourquoi, mais certaines femmes me font penser à des perles. Nicole Trudeau en est une: discrètement jolie, élégante, raffinée, cultivée. Pour ceux d’entre vous qui ne la connaissent pas, elle est professeur de musique. Et aussi, elle est aveugle. C’est un fait qu’elle a dû accepter. Il serait à souhaiter que tout le monde l’accepte comme elle, tout simplement, sans préjugés. Mais voilà, des préjugés elle en rencontre très souvent. Les gens souffrent d’insécurité et font le transfert de cette insécurité en lui refusant l’opportunité de faire ses preuves. Elle le comprend, mais comme elle dit: «j’espère que je ne le comprendrai jamais assez pour démissionner.»

Ainsi, depuis son retour à St-Lambert, après des études musicales à Paris pendant trois ans et après six années d’enseignement au Conservatoire de Chicoutimi, elle a frappé à toutes les portes pour trouver un emploi correspondant à sa formation et à ses goûts. Partout on reconnaît sa compétence. Mais les gens sont très réticents à lui confier un poste parce qu’elle est non-voyante. On lui dit que les difficultés d’organisation pratique sont trop grandes. Ce n’est sûrement pas autre chose que des préjugés. Elle a voyagé un peu partout, elle se déplace quotidiennement pour des cours ou pour assister à des concerts ou pour rencontrer des amis. Elle se débrouille très bien. Et pour l’enseignement, aucune difficulté: ses partitions sont en braille. Je souhaite vraiment qu’enfin on comprenne et qu’on lui accorde la place qui lui revient.

Pour elle, l’enseignement de la musique, c’est très important. Ce n’est pas, comme certains peuvent le penser, un pis-aller parce qu’elle n’est pas concertiste. L’artiste de concert a une vocation particulière, mais elle se réalise pleinement par l’enseignement. «Je m’exprime en faisant travailler les autres» dit-elle. «Et ma plus grande joie est de susciter un climat de confiance et de communication avec mes élèves. Et quand  l’un d’eux réussit à s’exprimer dans la musique, à sortir de lui-même et à transmettre ses émotions, alors je suis heureuse. J’ai la satisfaction d’avoir accompli quelque chose de valable.»

Toujours désireuse de s’améliorer, elle poursuit actuellement à l’université une recherche en éducation musicale comparée. En établissant des parallèles avec les autres pays, elle veut déterminer dans quelle mesure la culture québécoise se reflète dans l’enseignement de la musique.

De sa voix très agréable, très musicale, elle me parle encore de son séjour à Paris, de la chance qu’elle a eue de pouvoir constater ce qui se fait ailleurs. Tous les étudiants devraient avoir la même chance d’élargir leurs horizons. Elle a eu le coup de foudre pour l’Italie. En voyage, elle se sent toujours dans une forme éblouissante, mais à Rome, dit-elle, j’étais euphorique. Le contexte culturel, la chaleur humaine, la cuisine, tout l’a emballée.

Il y a quelques années, me dit-elle, j’avais l’obsession des études. Je voulais à tout prix acquérir une solide formation. Je suis heureuse aujourd’hui de l’avoir fait. Mais à présent, j’accorde de plus en plus d’importance aux contacts humains. Ses amitiés lui sont très précieuses. «De penser que quelqu’un, quelque part, croit en vous, est le bien le plus précieux que vous puissiez posséder».

Elle apprécie également les liens qui se créent entre elle et ses élèves et aussi avec les gens qu’elle rencontre chaque jour. Du fait de sa cécité, elle doit parfois demander l’aide des gens dans le métro ou sur la rue. Elle a découvert qu’au fond, les gens lui sont très sympathiques et prêts à lui rendre service. Qu’elle leur fournit même le prétexte à sortir de leur mutisme et qu’ils en sont très heureux.

Pour Nicole, la joie de vivre c’est de toujours pousser plus loin ses expériences. De vivre pleinement chaque journée. C’est aussi l’amitié, la chaleur humaine, la musique. Et elle a du cran. Elle sait que par son attitude, par ses réalisations, elle arrivera à sensibiliser la société aux problèmes de ses semblables.

«J’ai une place dans la société, dit-elle, et j’entends bien l’occuper.»

Raymonde Bellerive

Photo de Nicole Trudeau avec la journaliste
Légende: Le sourire éblouissant de Nicole Trudeau témoigne de sa joie de vivre.

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Article publié dans: 

The South Shore Courier, 5 novembre 1975, p. A4 / Raymonde Bellerive / La joie de vivre c’est: Nicole Trudeau, une perle rare

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