De l’imprimante braille à Graphtact

Dans un environnement informatisé de production, quel équipement périphérique permettrait de réaliser sur papier des représentations graphiques en relief?  Telle fut la question aussi fondamentale que simple qui s’est posée, lorsque la thématique du graphisme tactile s’est ajoutée au vaste projet de normalisation du braille.

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De l’imprimante braille à Graphtact

RÉSUMÉ

Le système GRAPHTACT est une innovation technologique dédiée à la production tactile du matériel graphique. Ce système a été développé dans le cadre d’un vaste projet de normalisation du braille, projet en cours à l’Université du Québec à Montréal. Conçu tant à partir des observations accumulées que des besoins de la clientèle à desservir, celle du milieu scolaire, le système GRAPHTACT permet l’utilisation, entre autres, de trois reliefs différents, de textures de lignes et de surfaces, du papier fort (le papier braille), d’annotations en braille, etc. De plus, GRAPHTACT dessine avec précision et netteté et offre une qualité tactile supérieure. Pendant que l’équipe technique associée au projet poursuit le développement et le raffinement du système, une urgence s’impose au dossier de la recherche: celle de l’élaboration d’une approche structurée de l’analyse de l’image visuelle. Une telle approche semble de plus en plus nécessaire, sinon indispensable, à l’adaptation tactile de cette image. Le système GRAPHTACT est un outil prometteur à mettre au service de planches tactiles à bien concevoir. 

PRÉSENTATION 

Avant de présenter le système GRAPHTACT, innovation technologique au service de la production tactile du matériel graphique, une brève mise en situation s’impose. À la suite de cette présentation seront formulées des réflexions appelant à transcender l’outil, ou plus exactement, à le mettre au véritable service de la clientèle pour laquelle il a été prioritairement développé.

INTERROGATION INITIALE 

Dans un environnement informatisé de production, quel équipement périphérique permettrait de réaliser sur papier des représentations graphiques en relief? Telle fut la question aussi fondamentale que simple qui s’est posée, lorsque la thématique du graphisme tactile s’est ajoutée au vaste projet de normalisation du braille [1 a et b].

LE PROJET ET SES PROBLÉMATIQUES

Au Québec, le projet de normalisation du braille a été initié par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science (MESS), puis confié à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il vise essentiellement à créer les outils nécessaires pour guider et structurer la standardisation souhaitée de la production du matériel transcrit pour la clientèle du réseau scolaire. Si le graphisme tactile s’est imposé au projet initial et général de normalisation du braille, c’est, entre autres, que l’image a progressivement, puis massivement envahi le manuel scolaire. Par conséquent, à la problématique du braille s’est ajoutée une problématique fort différente, celle de l’image à décoder tactilement.

Pour le report en mode tactile du texte alphabétique et numérique, nous disposons d’un système très structuré, le braille. Mais, pour le report de l’image, nous ne disposons, à ce jour, d’aucun système. De là à croire que nous en sommes peut-être à une étape pré-Louis Braille face à l’accès à l’image pour l’aveugle, il n’y a qu’un pas que je serais tentée de franchir.

Paul Murphy n’a-t-il pas esquissé une réflexion dans ce sens en 1989 en rappelant que les premières tentatives de création d’un langage tactile ont consisté en l’embossage des caractères tels qu’ils apparaissaient dans l’imprimé?[2]  N’a-t-il pas anticipé que, dans une cinquantaine d’années, les graphiques pourraient ne pas ressembler à leurs contreparties visuelles, pas plus d’ailleurs que les caractères braille ne ressemblent à l’alphabet imprimé?[2]  La représentation graphique visuelle peut être communiquée tactilement soit de façon symbolique, soit de façon plus directement graphique. Il y aura donc un choix «éditorial» à faire.

Pour définir les normes de traitement du braille, l’outil de production n’est pas à reconsidérer. La cellule braille est standardisée depuis longtemps et les divers équipements respectent tous ces standards. Mais pour définir les normes de traitement de l’image tactile, nous ne pouvons nous référer ni à un système, ni à des standards  techniques, ni même à des standards sensoriels. Le champ de la représentation tactile de l’image est jeune. Il a besoin d’un apport considérable de la recherche dans de multiples domaines car la tâche est d’envergure.

IMPRIMANTES ÉVALUÉES 

Si le projet s’est finalement engagé dans le développement d’un nouvel outil pour la production du matériel graphique en relief, c’est que les équipements alors disponibles ne répondaient pas aux objectifs fixés.

Le potentiel de l’imprimante braille dite «graphique» a d’abord été évalué. Il s’est révélé tout à fait inadéquat, ne serait-ce qu’à cause de carences telles que: l’unicité du relief, l’inexistence de la ligne véritablement continue, la distorsion des droites autres que verticales et horizontales et, par conséquent, des formes autres que le carré et le rectangle, etc.

Puis, la découverte de l’imprimante à jet d’encre solide, Pixelmaster[3], a suscité beaucoup d’enthousiasme et d’espoir. Son potentiel de dessin révélait, entre autres, une très grande précision du tracé de l’image tactile, ainsi que des paramètres de hauteur de ligne (relief), de largeur de ligne et de texture de surfaces présentant, individuellement et concurremment, une gamme intéressante d’options. C’est d’ailleurs à partir de cette imprimante qu’a été préparé le matériel graphique utilisé dans le cadre de trois expérimentations impliquant des jeunes du réseau scolaire.[4a et b]. Ces expérimentations ont confirmé, entre autres, que des reliefs inférieurs à celui du point braille sont perceptibles et, par conséquent, utilisables dans le cadre de planches en relief.

C’est le désintéressement de la compagnie Howtek pour son produit (abandon du service et du développement) qui a ramené, en quelque sorte, le projet à la case départ, soit à l’interrogation initiale.

PÉRIPHÉRIQUE À CONCEVOIR ET À RÉALISER 

Les constats suivants se sont transformés en facteurs dynamiques:

    • Des normes élémentaires ne seraient utiles que dans la mesure où l’outil de production ait le potentiel pour répondre aux attentes;
    • Les équipements utilisés jusque-là ont certes déçu, mais ils ont été riches d’enseignements;
    • Il y a un vide technologique, mais parallèlement, quelques pistes intéressantes.

À partir d’un tel bilan, le projet a décidé de s’associer une équipe technique pour entreprendre un processus de conception et de développement d’un outil intégrant les forces de l’imprimante Pixelmaster et palliant certaines de ses faiblesses.

CONSIGNES DE DÉVELOPPEMENT 

Les attentes du projet quant au potentiel de dessin de l’outil à développer se résument, pour l’essentiel, comme suit. Le périphérique doit permettre:

    • De tracer divers types de ligne: continue, brisée, pointillée, tiretée, mixte;
    • De réaliser différentes textures de lignes;
    • De générer une gradation d’au moins trois reliefs (objectif minimum: 0,045 mm; objectif maximum: le plus près possible de la hauteur du point braille);
    • D’obtenir différentes largeurs de lignes indépendamment du relief: insistance sur l’accès à une ligne fine;
    • D’avoir accès à un large éventail de textures de surfaces;
    • D’assurer la constance du tracé tant au niveau du relief qu’au niveau de la texture;
    • De superposer des éléments graphiques tactiles;
    • D’offrir une bonne lisibilité des divers paramètres tactiles à l’intérieur d’une même composition graphique;
    • D’insérer des annotations en braille dans le respect des dimensions normalisées de la cellule;
    • D’imprimer sur du papier braille de 28 cm x 28 cm.
    • D’utiliser un logiciel de dessin performant;
    • De développer une banque de figures, d’éléments et même de compositions graphiques;
    • De produire en un temps relativement court;
    • Enfin, de parvenir à une précision du tracé et à une qualité tactile supérieures.

POTENTIEL DE DESSIN DE GRAPHTACT

Grâce à une étroite collaboration entre la chargée de projet et l’équipe technique, la majorité des attentes ont été, à ce jour, satisfaites et s’inscrivent au sein du potentiel du prototype du système développé. (figure 1). Avec GRAPHTACT, les planches tactiles sont réalisées sur du papier braille dont les dimensions n’excèdent pas 28 x 28 cm. La composition graphique est travaillée à l’intérieur d’un logiciel de dessin. GRAPHTACT dessine en relief avec une très grande précision: le tracé est net et constant. Le système génère trois reliefs distincts; à chacun de ces reliefs est associée une largeur de trait. Les lignes continue, pointillée, tirette et mixte sont parfaitement réalisables. Les textures de lignes, mais aussi de surfaces, font partie de son potentiel de dessin, comme d’ailleurs l’écriture braille. Grâce à l’informatisation du système, des paramètres et des éléments de dessin, ainsi que des figures, peuvent être prédéfinis.

Figure  : Système GRAPHTACT, innovation technologique dédiée à la production tactile du matériel graphique.

Photo de l'appareil GRAPHTACT

DE LA TECHNOLOGIE À LA NORMALISATION 

Tout au long du travail empirique de développement de GRAPHTACT et de contrôle de la qualité tactile de son dessin, je n’ai jamais perdu de vue l’objectif ultime du projet: proposer des normes pour tendre vers plus de cohérence dans la production du matériel graphique. Ainsi, des façons de faire se sont profilées. Elles seront proposées comme normes provisoires de base au comité interministériel de concertation sur la  normalisation du braille puis validées auprès de la clientèle en milieu scolaire. À titre d’exemples pourront s’y retrouver des consignes à l’égard :

    1. De l’agrandissement: lorsque les figures sont simples, ne pas en abuser;
    2. De la taille minimum des principales figures géométriques de base;
    3. De la création d’un marqueur d’angle, élément de dessin jugé tactilement nécessaire pour préciser les angles très ouverts;
    4. De la définition d’un marqueur d’angle droit pour spécifier cet angle souvent difficile à repérer surtout lorsque les figures sont en rotation;
    5. De la confection des flèches;
    6. Des paramètres de dessin du cercle versus l’ovale, du carré versus le rectangle;
    7. De la distance minimale à respecter entre les traits;
    8. De la constance dans le positionnement de la cellule braille par rapport à l’élément de dessin à identifier;
    9. De la conjugaison des reliefs avec l’importance relative des composantes graphiques; etc.

NOUVEAU DÉFI

Les réalisations de GRAPHTACT séduisent visuellement. Mais ce pouvoir de séduction peut devenir un piège pour qui oublie la raison d’être du système et les différences entre la perception visuelle et la perception tactile. Oui, GRAPHTACT dessine en relief avec une très grande précision des représentations graphiques fort complexes mais qui peuvent se révéler tactilement illisibles. Cela m’amène à réfléchir sur un autre défi posé par le matériel graphique destiné à une lecture tactile. En effet, au défi technique, au défi de normalisation s’ajoute le défi de l’adaptation, donc de l’interprétation.

Au-delà du partage des responsabilités (à savoir, qui répond de l’adaptation de l’image d’un ouvrage publié, donc avec droits d’auteurs?), au-delà des exigences qui réclament que les graphiques tactiles aient le même aspect que leurs contreparties visuelles (comportement qui s’explique par le manque d’information et de sensibilisation), la tâche d’adaptation de la représentation visuelle qui échappe rarement à l’interprétation est une étape aussi essentielle que délicate. Elle doit tenir compte:

    • De la technologie utilisée pour la réalisation de la planche tactile (éléments objectifs que l’adaptateur devrait parfaitement maîtriser);
    • Des ressources et des limites de la lecture tactile (étant entendu que les lecteurs doivent apprendre à manipuler et à décoder ce matériel);
    • Des éléments constitutifs de la représentation visuelle et surtout de leur hiérarchisation.

Parallèlement à la définition d’un ensemble de normes de base, définition souhaitée et confiée au projet que je pilote, une urgence s’impose, celle de rechercher, puis de suggérer une approche structurée pour l’analyse de la représentation visuelle, par exemple, pour faire le décompte de ses composantes, pour les classer, pour les hiérarchiser, pour les mettre en lien avec l’information à communiquer, etc. Une telle  analyse préliminaire pourrait rendre, me semble-t-il, moins arbitraire certains choix. Un tel travail pourrait aussi aider à associer les éléments de première importance aux composantes tactiles les plus proéminentes pour le lecteur. Je ne peux donc que souhaiter que le milieu de la recherche se penche de plus en plus sur une méthodologie de l’analyse de l’image visuelle, méthodologie qui pourrait être validée, entre autres, dans l’environnement de l’adaptation de l’image visuelle vers une réalisation tactile et ainsi, sans doute contribuer à augmenter la lisibilité et l’intelligibilité.

CONCLUSION 

Le système GRAPHTACT constitue, dès maintenant un bon outil dont le développement se poursuit. Cependant, il n’est et ne demeurera qu’un outil performant. À nous de poursuivre le travail pour être en mesure de lui confier des compositions graphiques de mieux en mieux adaptées à la lecture tactile.

Nicole Trudeau Ph.D.
Université du Québec à Montréal

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Références :

(1a) TRUDEAU, N. / Code de transcription de l’imprimé en braille tome 1  Info‑Doc, vol. 6 no 1, 3e trimestre 1992, pp. 114-118; (Bulletin du Centre de documentation de l’Institut Nazareth et Louis‑Braille et de l’École Jacques Ouellette).

(1b) TRUDEAU, N. / Code pour la transcription en braille de l’imprimé / publié sous la direction du ministère de l’Éducation, Gouvernement du Québec, 1996 / 2e édition, revue et corrigée, 326 pages.

(2) MURPHY, P. (1989) / The microcomputer and tactual graphics, in Closing the Gap /  August-September, vol. 8, no 3, p. 14.

(3) MIASTKWSKI, S. (1990) / Printer generates tactile graphics for the blind / in Byte, 15, 3, (March) 1990, pp. 24, 28.

(4) a) TRUDEAU, N. (1994) / La décennie de la réappropriation du braille par les aveugles et de la revalorisation du sens du toucher. Élargir les horizons. Perspectives scientifiques sur l’intégration sociale Office des personnes handicapées du Québec, (Les actes du colloque scientifique international  Les limitations fonctionnelles et leurs conséquence sociales: Bilan et Prospectives / 18-19-20 novembre 1992, Montréal / Éditions Multimondes, juin 1994, pp. 887-895;

(4) b) TRUDEAU, N., DUBUISSON, C. (1993) / Vers la normalisation du graphisme tactile / Réadaptation, no 396, janvier 1993, pp. 30-32.

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Pour informations de nature technique :

Système GRAPHTACT, innovation technologique dédiée à la production tactile du matériel graphique.

Monsieur Gaston Ouzilleau,
Centre Louis-Hébert,
525, boul. Hamel, est, aile J,
Québec (Québec), G1M 2S8
téléphone (418) 529-6991  Télécopieur (418) 529-3450

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Communication présentée dans le cadre du colloque Les nouvelles technologies dans l’éducation des handicapés visuels / CNEFI (Centre nationale d’études et de formation pour l’enfance inadaptée Suresnes), ANPEA (Association Nationale des Parents d’Enfants Aveugles ou gravement déficients visuels Paris) / Paris,  juin 1996.

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Article publié dans :

Les actes du colloque Les nouvelles technologies dans l’éducation des handicapés visuels / Paris Suresnes / 10-11 juin 1996 / 350 pages / Nicole Trudeau Ph.D. / De l’imprimante braille à Graphtact / pp. 151-154

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Sur des sujets apparentés :

From the Braille Printer to Graphtact

Tactile Graphics in Braille Texts

Tactile Graphics in Braille Texts (en français)

Vers la normalisation du graphisme tactile

La normalisation du graphisme tactile

Le prototype Graphtact

Procédure d’utilisation et spécifications du prototype Graphtact

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