Une affirmation interrogative

6 août 2023

Par le titre de son ouvrage, Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants?  Patrick Moreau affirme, illustre et interroge.

D’entrée de jeu, Patrick Moreau qualifie son ouvrage de «pamphlet» né de quatre constats et préoccupations majeurs:

(…) désarroi d’un professeur qui, année après année, voit débarquer dans ses classes au cégep des élèves incultes (…) et quasi illettrés, si l’on considère les difficultés que plusieurs d’entre eux (…) éprouvent à lire et à comprendre un texte simple, ainsi que leur connaissance abyssale des principes de base de l’orthographe.»

«(…) questionnement d’un citoyen qui se demande comment un régime démocratique (…) peut continuer à fonctionner adéquatement si les lecteurs n’ont pas reçu une formation intellectuelle qui leur permette d’évaluer rationnellement les enjeux des débats dont ils sont théoriquement les arbitres autorisés.»

«(…) scepticisme d’un homme qui s’interroge (…) sur l’immodestie de notre époque (…) quand elle s’imagine naïvement pouvoir «réinventer la roue» et qu’elle n’éprouve plus (…) le besoin de transmettre à ses propres héritiers le legs culturel, intellectuel, esthétique qui lui a permis d’être ce qu’elle est.»

«(…) l’effroi causé au père que je suis par la perspective d’avoir des enfants ignorants, (…).» (Quatrième de couverture)

Avant de procéder aux illustrations de ses affirmations, Patrick Moreau nous propose une réflexion de George Steiner:

«La libido sciendi, la soif de connaissance, le besoin ardent de comprendre sont inscrits dans le meilleur des hommes et des femmes. Comme l’est la vocation d’enseignant. Il n’est de métier plus privilégié. Éveiller chez un autre être humain des pouvoirs, des rêves au-delà des siens; induire chez d’autres l’amour de ce que l’on aime; faire de son présent intérieur leur futur: une triple aventure à nulle autre pareille. (…) enseigner, bien enseigner, c‘est se rendre complice du possible transcendant.» (Voir Maîtres et disciples de George Steiner) cité dans Moreau.

Premier constat affligeant: l’orthographe. Patrick Moreau y consacre trois chapitres.

«Mes élèves souffrent collectivement, et chroniquement, de dysorthographie! À dix-sept ans, et alors même qu’ils ont obtenu après onze années de scolarité un diplôme de fin d’études secondaires, rares sont ceux qui sont capables d’écrire à peu près sans fautes.» (p. 23)

Suivent des exemples orthographiques qui parlent d’eux-mêmes. Et il y en a tout au long de l’ouvrage.

Pourquoi insister sur cette question de l’orthographe, se demande Patrick Moreau?

«(…) Parce que c’est un symptôme révélateur d’une école qui ne veut plus enseigner, ou qui ne sait plus quoi enseigner (…) ou encore qui ne sait plus comment enseigner (…)» (p. 47)

«(…) Parce que cette méconnaissance (…) a des conséquences non seulement sur la qualité de leurs écrits (…) mais aussi sur l’ensemble de leur scolarité et (…) même de leur vie. La langue (…) n’est pas seulement un outil de communication (…), elle est aussi le véhicule de la pensée, ainsi que le moyen d’expression privilégié de la culture.» (p. 48)

«C’est   ce qu’on peut dire qui délimite et organise ce qu’on peut penser.» (Émile Benveniste, p. 48)

Dans un autre chapitre, Patrick Moreau commente la culture commune que l’école devrait développer. Sa pensée se résume dans cette réflexion de Marc Bloch:

«Celui qui ignore le passé est condamné à le revivre.» (p. 75)

Patrick Moreau confie:

(…) ce qui me trouble le plus dans cette ignorance, cette acculturation, cette amnésie collective, ce simplisme si réducteur qu’on a imposé à des générations d’enfants, c’est l’impact qu’il aura – ou qu’il a déjà – sur notre société.» (p. 79)

L’estime de soi est aussi interrogée et illustrée.

«(…) le fait d’élever nos enfants dans un cocon à l’école comme dans le cadre familial, (…) n’engendre-t-il pas des individus à l’ego surdimensionné, mais incapables en même temps (…) d’affronter la moindre adversité. (.)» (p. 82)

Pourtant,

«ils ne manquent pas d’aplomb quand il s’agit de répondre des inepties ou de revendiquer.» (p. 83)

Patrick Moreau pose cette question majeure:

«Est-ce vraiment le rôle de l’école que de remédier à tous les maux de la société? (…)» (p. 83)

Et il ajoute:

«peut-être l’école fait-elle mal ce dont elle devrait se contenter: enseigner.» (p. 83)

Le culte sans fin de l’estime de soi engendre un autre problème: l’ego sur dimensionné. C’est Stefan Zweig qui a écrit:

«N’est-il pas diablement aisé en fait, de se prendre pour un grand homme quand on ne soupçonne pas le moins du monde qu’un Rembrandt, un Beethoven, un Dante ou un Napoléon ont jamais existé?» (p. 92)

«Il faut le dire et le répéter: la véritable «démocratie scolaire» ne consiste pas à offrir à tout le monde des diplômes qui ne vaudront bien plus le papier sur lequel ils seront imprimés, mais à permettre au plus grand nombre d’enfants possible (…) d’acquérir une éducation de qualité». (p. 105)

«C’est l’hypocrisie généralisée d’un système qui donne une prime à la médiocrité qu’il faut dénoncer. Il faut à tout prix sortir de ce cercle vicieux qui fait que l’on diplôme des étudiants mal formés, qui deviendront des professeurs incompétents, qui, à la mesure de leur incompétence, se montreront cyniques ou indulgents, et formeront à leur tour, mais très incomplètement, des élèves qui… etc.» (p. 117)

«À qui la faute?» se demande Patrick Moreau. (p. 118)

«Il est évidemment difficile sinon impossible, (…) de cibler une quelconque responsabilité individuelle. Ce qui est en cause, c’est un laxisme qui s’est répandu sournoisement depuis plus de trente ans, une lente érosion qui, de renoncements en renoncements, de discours jovialistes en constats empreints d’une mauvaise foi à peine camouflée, a triomphé au bout du compte de toute volonté sincère de transmettre un véritable enseignement.» (pp. 120-121)

«(…) un des éléments qui font que» Patrick Moreau «doute qu’il y ait jamais un véritable débat sur cette question, c’est que la majorité des parents d’enfants scolarisés se satisfont de cette école qui éduque mal : les uns par inconscience, dut pour une part à l’éducation déficiente qu’ils ont eux-mêmes reçue; les autres, (…) parce qu’ils sont trop contents peut-être de voir leurs propres rejetons échapper pour un coût somme toute modique, à la médiocrité de l’école publique.» (p. 126)

«(…) soyons bien persuadés que l’école sera toujours à l’image du monde social. Et vice-versa. C’est pourquoi nous avons tous, sur ce sujet de l’éducation, une responsabilité particulière, celle de nous demander dans quelle société nous voulons vivre et quel avenir nous voulons pour nos enfants.» (p. 129)

Dans ses dernières pages, Patrick Moreau parle à ses étudiants:

«Si je dénonce votre ignorance, votre inculture, votre méconnaissance hallucinante de l’orthographe, ce n’est pas à vous que j’en veux, je ne vous en tiens pas personnellement pour responsables car vous avez été trahis par ceux-là mêmes qui, sous le prétexte fallacieux de vous protéger, ne vous ont rien appris.» (p. 139)

Beaucoup de collègues de Patrick Moreau considèrent

«l’accroissement de l’ignorance et de l’inculture comme une évolution inévitable.» (p. 141)

Pourtant, Patrick Moreau

«reste persuadé qu’au moins pour nos élèves, si nous les aimons véritablement, nous ne devons pas baisser les bras ni nous résoudre à cette fatalité.» (p. 141)

Si une seconde édition de cet ouvrage paraissait en 2023, quinze ans plus tard, qu’y lirait-on? Le constat serait-il le même? Je le crains.

Source:

MOREAU, Patrick / Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants? / Montréal, Édition du Boréal , 2008 / 141 pages

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