4 avril 2023
Après avoir découvert Au nord de nos vies de Jean Dézy, je viens de compléter L’accoucheur en cuissardes qui reprend le titre d’un des récits de ce recueil qui en contient une quarantaine. La thématique demeure la pratique médicale sur la Côte-Nord, au Nunavik, à la Baie-James, mais aussi autour de Québec.
En plus de nous faire partager ses expériences vécues au quotidien dans différentes communautés, l’auteur nous confie les réflexions qu’elles lui inspirent. J’en fais une petite cueillette destinée à prolonger la lecture et à alimenter les méditations. Chaque citation est associée à un récit spécifique qui l’a inspirée et auquel le lecteur pourra retourner.
LA MORT
La réflexion qui suit me ramène à moi-même:
«J’ai été conscient de l’omniprésence de la mort depuis ma tendre enfance. À cinq ans, déjà, en regardant par la fenêtre de ma chambre, je m’interrogeais: «Ce peut-il qu’il n’y ait rien, rien que le néant derrière tout cet écran d’étoiles scintillantes?» Ma petite vie (…) allait s’éteindre un jour… Dans combien de temps?» (p. 24)
«Moi, en commençant mes études, je ne savais pas à quel point la médecine qui est une affaire de soins et de santé, bien sûr, est aussi une affaire de mortalité.» Apprendre à un patient qu’il souffre d’une maladie mortelle «est un art qui demande à la fois du courage et de la finesse.»(p.24)
(voir Récit: Déraillement p. 21)
LA JOIE
«La joie est le plus souvent temporaire chez l’être humain.» (p. 30)
(Voir Récit: Une question de pif p. 26)
«Le travail en médecine donne, bien sûr, et pas si rarement, de réelles satisfactions. Mais ce qui apporte le plus de joie aux soignants, et une joie de qualité, et qui donne envie de revenir bosser dans une salle d’urgence ou sur un plancher d’hôpital, c’est le sentiment d’être en harmonie avec les autres, avec les collègues comme les camarades de travail. Les patients ont leurs propres combats à mener; en tant que soignants nous avons le devoir de les épauler, de les accompagner. Mais la qualité du travail auprès des malades dépend d’une attention véritable que les soignants doivent avoir les uns pour les autres. (…)» (p. 110)
(Voir Récit: L’hémorroïde p. 107)
LE PIF
«Bien que la lecture et la formation continue demeurent nécessaires pour les professionnels, quels qu’ils soient, bien qu’il faille toujours être à jour quand on est médecin, rien ne vaut le simple bon sens, parfois, celui-là même que possèdent les grands-mères. L’expression usuelle «bon sens» a le don de faire hurler les intellectuels. Pourtant, les meilleurs scientifiques comme les plus habiles chirurgiens savent qu’une pincée de bon sens, si non une pleine tasse, parfois, peut totalement changer le cours d’une opération. Pour agir avec qualité il faut se servir de ses connaissances, de son expérience, mais il faut aussi avoir l’intuition, sinon le pif de ce qui ajoutera indéniablement de l’harmonie à tout geste, à toute parole, à toute pensée.» (p. 30)
(Voir Récit: Une question de pif p. 26)
VIVRE
«Vivre, tout simplement, est un art qui doit parfaire les connaissances médicales comme les compétences techniques, et ce n’est parfois pas une mince affaire que de savoir vivre, même si, (…) pour quelques-uns, (…) cela ne va pas de soi.» (p. 33)
(Voir Récit: La rectoscopie p. 31)
MALADIE MENTALE
«Tout au long de ma vie d’omnipraticien, j’ai côtoyé la maladie mentale. (…) je peux jurer que ces gens avaient d’horribles souffrances. J’ose dire que la majorité des patients psychiatrisés m’a paru plus souffrante que les autres, sauf peut-être les sidéens en phase terminale.» (p. 42-43)
(Voir Récit : Psychose p. 42)
«Il est vrai que je voulais vraiment faire de mon mieux. Mais parfois, mais pas si rarement, en médecine comme dans la vie de tous les jours, vouloir trop bien faire revient à faire moins bien. Il y a des limites à l’obsession de tout réussir avec perfection.» (p. 50)
(Voir Récit: Psychose p. 42)
«Cent fois plus simple de s’occuper d’une fracture que d’essayer de soigner l’âme d’une suicidaire arrivée au bout de sa nuit. Mille fois plus simple… (…) Quand c’est l’esprit qui chancelle, quand c’est la psyché qui souffre et hurle virtuellement, ne trouvant plus aucune ressource pour survivre, quand c’est l’âme entière qui vacille, jusqu’à quel point la technoscience peut-elle être utile? Il n’y a peut-être que l’amour et la parole d’amour qui peuvent mettre un baume sur une âme meurtrie. (…) Donner de l’amour, du vrai, est mille fois plus difficile que de remettre droit un tibia cassé en trois morceaux.» (p. 117)
(Voir Récit: L’intuition p. 112)
«Il est toujours effrayant de côtoyer la folie ou de croiser quelqu’un qui est emporté par un tel accès de violence, (…). Le plus troublant, c’est de savoir que personne, mais vraiment personne, n’est à l’abri, au cours de sa vie, de tels débordements hormonaux, psychopathiques et délirants. Croire le contraire n’est que du pur orgueil ou de la vanité. Croire qu’on sera toujours épargné d’un moment de folie grave, c’est démontrer une triste méconnaissance de toutes les misères possibles qui se terrent au coeur de la psyché, de toutes les psychés.» (pp. 66-67)
(Voir Récit: Tristesse p. 63)
COMPASSION
«(…) plus que jamais je serai compatissant envers tout père, toute mère qui, un jour, dans le monde, aura peur de perdre un de ses petits. Je penserai à l’extraordinaire et insoutenable responsabilité qui échoit à quiconque, depuis la préhistoire, d’être parent.» (p. 77)
(Voir Récit: Intuber sa fille p. 73)
HUMOUR
«Les Indiens ont un sens inné de l’humour. J’ai toujours aimé faire des blagues et des jeux de mots, mais c’est sûrement chez les Indiens et les Inuits que j’ai ri le plus librement dans ma vie. Voilà un trait de leur psychisme, fondamental, qu’il faut considérer si l’on souhaite établir quelque contact de qualité avec eux. Il y a des peines et des souffrances terribles, il y en a eu de tout temps, au sein des communautés, il y en a peut-être encore plus maintenant. (…) mais l’humour constitue une protection contre les aléas de la vie, les souffrances comme les chutes. » (pp. 98-99)
(Voir Récit: Madame Lilo p. 92)
«Ce qu’un médecin peut parfois faire de mieux, c’est de soulager, et même de guérir quelqu’un sans autres moyens que ses mains. (…) il n’existe pas d’acte banal quand on est appelé à soigner les autres. Il n’y a que le respect, toujours, absolument nécessaire, dans la dignité. Et puis, je le crois vraiment, tant du côté des malades que de celui des soignants, il faut accepter le rôle salvateur de l’humour pour éviter le grand piège de la componction. La tristesse, souvent, s’avère le pire ingrédient de la tragédie.» (p. 133)
(Voir Récit: Bonne année p. 130)
LE PARDON
«J’aime croire en la vertu du pardon. (…) À mon sens, le pardon est à la source même de la guérison véritable de toute psyché. (…) si on n’arrive pas à pardonner, un tant soit peu, si on ne fait pas quelques pas vers une possible réconciliation, aucune véritable guérison ne peut fleurir. (…) Il y a tellement de patients (…) qui meurent à petit feu après les graves flétrissures qui leur furent faites, (…) par incapacité formelle à pardonner. (…) Pardonner est nécessaire pour des raisons de santé et de joie. » (p. 121-122)
(Voir Récit: Le soldat (p. 118)
HUMILITÉ
«(…) peut-être que la plus grande compétence, quel que soit le métier ou la profession, c’est de se connaître suffisamment, avec force et humilité, pour savoir que quelqu’un d’autre possède plus de moyens et plus de connaissances pour intervenir dans l’espoir du plus grand bien du patient. Bien soigner, parfois, c’est aussi avoir le courage de ne pas soigner…» (p. 148)
(Voir Récit: L’hémorragie p. 142)
LA GRATITUDE
«Il n’est pas si fréquent que les patients fassent une visite de politesse à ceux ou celles qui les ont sauvés. Ils devraient agir ainsi plus souvent. C’est ce que je recommande à mes amis et connaissances qui ont des maladies graves. Je leur dis de ne pas se gêner et d’écrire une petite carte ou d’apporter des fleurs au personnel soignant, une fois qu’ils sont guéris, (…) dans la mesure où ils ont le sentiment qu’ils ont été traités avec compétence, mais surtout, avec compassion. Ces attentions valent beaucoup mieux que de l’argent. De fait, l’amour qu’on donne ou qu’on reçoit a peu à voir avec la matérialité. Il est pourtant la seule valeur qui compte, au bout de nos peines, de nos jours comme de nos vies.» (p. 153)
(Voir Récit: La mort du père p. 151)
LE SENTIMENT DE LIBERTÉ
«Il fait un automne de rêve. La toundra me donne l’envie de filer sur des milliers de kilomètres de mousse et de pierres, pour hurler à tout vent le sentiment de liberté qui me prend à la gorge chaque fois que j’y vagabonde. Ce n’est pas tuer une bête qui m’enivre, mais sentir tous mes sens avivés par les courses dans la toundra, par le sens supplémentaire que le Grand Nord donne à ma vie.» (. 192)
(Voir Récit: Un crack p. 188)
«J’aime plus que jamais les espaces du Nord avec leur totale nudité, ce qui rend la lumière plus vibrante que toutes les autres lumières que j’ai pu admirer dans ma vie. Parfois, je me dis que, d’une certaine façon, mais tout à fait dans l’esprit inuit, (…) je suis né dans le Grand Nord.» (p. 196)
(Voir Récit: Histoire d’obstétrique p. 196)
LE DILEMME
«Ce métier de soignant, m’aura souvent éreinté. J’aurai parfois touché à l’abîme, à mon propre abîme, en devant m’occuper de certains malades. Je sais pourtant que grâce au Nord, essentiellement grâce à la Côte-Nord, au Nunavik et à la Baie-James, j’ai pu garder pied dans le « Sens». Malgré les cas médicaux les plus difficiles, le Nord a eu le pouvoir de me mettre à l’abri d’un fort sentiment d’absurdité que j’ai souvent ressenti lorsque j’ai dû déambuler en dehors de l’univers poétique, au sein d’une société sudiste et urbaine qui, je dois l’avouer, m’a nourri physiquement, mais en me perturbant royalement avec tous ces signaux si déroutants, toutes ses pensées, toutes ses philosophies et ses images viciées. Je réalise maintenant que, toute ma vie, j’ai été aux prises avec un conflit profond. Où ai-je dû respirer le plus souvent, dans cette existence qui fut la mienne, en tant que médecin, certes, mais aussi en tant qu’amoureux de la poésie comme art de vivre? Aurais-je dû me contenter de vagabonder au nord, là où les torrents de la toundra et de la taïga charrient la plus essentielle poésie du monde, ou n’aurais-je pas dû plutôt choisir la sédentarisation au sud, afin d’encore mieux partager les textes de Marie Uguay, de Saint-Denys Garneau, de Geneviève Amyot et d’Emily Dickinson, et ainsi, en arriver à prolonger avec plus d’intensité dans ce qui compte sur cette terre, c’est-à-dire l’amour et l’amour de la poésie? Ne serait-ce pas dans une espèce de «Grand Mal) que j’ai dû apprendre à vivre, constamment écartelé entre le Nord et le Sud? Persiste en moi un goût de chanter, et, quand c‘est possible, de rire comme savent rire les Indiens, eux que j’ai appris à aimer parce qu’ils aiment beaucoup rire, malgré le pire.» (pp. 204-205)
(Voir Récit: Grand mal p. 200)
Vivre et réfléchir intensément, c’est ce dont Jean Dézy témoigne.
Source:
DÉZY / Jean / L’accoucheur en cuissardes Récits / Montréal, XYZ éditeur 2015, 221 pages