13 avril 2017
L’attente
« La mer! Tu rêves de prendre la mer! Comme est venu d’Angleterre ce grand-père que tu n’as pas connu, qui a pris femme et pays en ce paysage où tu n’as qu’une seule main pour l’adieu. Tu rêves de partir! Fuir tous ces regards prédateurs qui interrogent ta naissance et te volent ton intégrité. Tous ces yeux pour un mur de solitude, quand un seul regard de tendresse t’emporterait. L’amour, est-ce la blessure même? Quelle fille pourrait t’accompagner sur une mer aussi tourmentée, si l’attente est plus vaste que le désir? » (p. 76)
Les livres
« Tu aimes les livres où les mots ne s’usent pas. Souvent tu les lis, toujours tu les possèdes pour conjurer la Mort. Debout ou couchés, ils s’empilent partout chez toi, aucun espace pour la Sournoise, qui ne prend pas le temps de lire entre les lignes. Mais tu sais qu’Elle ouvre la fenêtre à l’improviste. Alors, tu te creuses un abri entre les colonnes qui composent le labyrinthe du langage, ta forteresse. » (p. 80)
Pomme d’amour
«Croque la pomme rouge, gorgée de soleil et de rosée, savoure la pulpe de toutes tes papilles, bois le suc de la terre, tu n’auras pas retrouvé l’étroit chemin du Paradis. Sinon dans l’étreinte de la chair où tout s’oublie.» (p. 81)
Psyché
Détestable Je,
mais tu n’as que lui
pour te défendre.
Avant même
que tu ne le connaisses
il te tient en laisse.
Mais c’est lui
le chien de l’âme
qui mord dans la vie.
Brise le miroir,
il te dévisage –
nom aimé, nom armé.
Tu échanges
toutes tes bontés
contre une amitié.
quelqu’un te trahit,
étonné tu apprends
que tu n’as rien perdu.
Détestable Je,
contre la mélancolie
tu réinventes le don
De soi,
car la tendresse
est habitable.
(p. 48)
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Source :
Jean Royer, Des âges solitaires, Éditions Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2008.
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En exergue de ce recueil :
« Chacun de nous en s’en allant dépose un fardeau dont nul ne connaît vraiment le poids ni ce qu’il aura porté d’inassouvi, d’inexaucé. Une vie! » / Paul Chamberland