24 septembre 2024
Nathalie Plaat, Psychologue, clinicienne, autrice et enseignante à l’Université de Sherbrooke, publie régulièrement dans Le Devoir. Dans son récent texte, Enfants du siècle, elle aborde la notion de naissance sociologique. Je me permets de reproduire ici quelques réflexions qu’elle y consigne et vous invite à parcourir l’ensemble de l’article.
«Nous sommes nés avant que de naître pour vrai. Avant nous, des événements sociohistoriques, politiques, culturels dressent les contours de ce qui enserrera, une fois le jour de notre naissance biologique dépassé, notre propre déploiement. Cette conception de la naissance dite «sociologique», développée par le philosophe et sociologue Didier Eribon (…) nous permet de penser notre existence étirée sur des décennies, voire des siècles avant nous, offrant, sur nos souffrances personnelles, une perspective nouvelle, poétique, mais, surtout, porteuse d’émancipations possibles. Il y a donc plusieurs naissances qui racontent qui nous sommes. Il y a notre date d’anniversaire, d’abord, connue, qui figure sur notre extrait de naissance, celle qui désigne le point de départ à notre inéluctable processus entropique. Puis, il y a toutes ces fois où, au cours de notre existence, nous nous mettons au monde, en nous affranchissant de nos milieux, parfois, de la honte liée à certaines conditions peut-être, de relations qui nous étouffent, de configurations personnelles qui ne rendent désormais plus justice à l’expansion de notre être. Oui, nous naissons souvent, après avoir un peu — ou beaucoup — souffert, évidemment. Si nous savons ne pas nous fuir, si nous osons tenir là où l’époque ne nous permet pas de tenir longuement, dans le lieu de la transformation, si nous savons laisser les choses nous changer, si nous osons les métamorphoses dans un monde presque, pourrait-on dire, «métamorphobe», nous naissons cent fois, mille fois, au cours d’une même vie.» Mais aussi, et c’est là toute la voie qu’ouvre cette idée de la naissance sociologique, il y aurait aussi «l’avant-nous», qui, bien au-delà de nos ancêtres, en dehors de la simple lignée et de sa génétique, raconterait comment nous arrivons dans une histoire déjà commencée. Comme le disait le philosophe Paul Ricoeur: «Nous naissons un par un, nous mourons un par un, nous survenons au beau milieu d’une conversation qui est déjà commencée et dans laquelle nous essayons de nous orienter afin de pouvoir à notre tour y apporter notre contribution.» Et nous savons bien, aussi, qu’il n’y a pas que des naissances heureuses, et que certaines dates de naissance sociologique concernent aussi de ces instants où le monde a basculé dans l’horreur, la guerre, la cruauté, l’injustice ou l’oppression. Ces dates existent en nous, même quand nous ne les avons pas vécues. Nous les portons, comme des stigmates, des marques au fer rouge, des cicatrices sur des plaies que d’autres ont portées avant nous, d’autres qui font partie de notre propre narration, qu’on soit liés ou non par le sang.»
Et puis, les questions suivantes nous sont posées:
«Vous êtes les enfants, les fils, les filles de qui, de quoi, de quel événement, de quelle grande illusion échouée sur les plages de votre naissance biologique, de quelle défaite politique, de quelle victoire sur l’adversité, de quel espoir?
Nathalie Plaat répond.
À notre tour.
Quel exercice!
Que de matière à réfléchir!
Que de perspective à explorer!
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Source:
PLAAT, Nathalie / Enfants du siècle / Le Devoir / Section Société / 23 septembre 2024