Mon deuxième Ferron

9 octobre 2023

«Je me nomme Tinamer de Portanqueu

Ainsi commence le récit de l’enfance d’une jeune fille qui apprend de son père, (…) que le monde est divisé en deux: le bon côté des choses, celui de l’enfance, de la campagne de Maskinongé, de la nature, et plus particulièrement de cet amélanchier qui dans sa floraison amène le printemps, et le mauvais, (…) les maladies de la ville, les relations humaines complexes et la perte d’une innocence qui aurait pu rendre le monde acceptable.»

Et ce beau texte dès les premières pages de l’Amélanchier:

«Il y avait derrière la maison, à l’extrémité du jardin, un bois (…) qui s’étendait sur toute une longueur de terre (….; aéré, bavard et enchanté, il le demeura aussi longtemps que j’ignorai ses limites et les miennes. (…) Nous profitions des premiers jours de mai, (…) quand le sous-bois fleurit le ciel du printemps, et après, des semaines et des mois du bel automne, quand l’été n’en finit plus de mourir à tous les étages. Le frêne, discret dans ses couleurs, prédominait. Il y avait aussi des ormes, trois espèces de chênes, des bouleaux, des érables, quelques tilleuls, des nerpruns, des charmes, des cornouillers et des aulnes. Sur le pourtour des clairières se pressaient l’amélanchier, le sumac et deux cerisiers (…); au milieu poussait l’aubépine, pionnière des reboisements. Tous ces arbres, arbustes, arbrisseaux avaient un langage et parlaient à qui voulait les entendre. Le cornouiller menaçait de ses harts rouges les mauvais enfants. Le bouleau, ne voyant que ses branches et leurs feuilles, brunes et vertes, disait qu’il aurait préféré être blanc. Dans les coins sombres, l’aulne dénonçait l’humidité d’une voix sourde et jaune. (…) Le plus extraordinaire de tous était l’amélanchier. Dès le premier printemps, (…) il tendait une échelle aux fleurs blanches du sous-bois, à elles seulement; quand elles y étaient montées, il devenait une grande girandole, un merveilleux bouquet de vocalises, au milieu d’ailes muettes, et furtives, qui annonçaient le retour des oiseaux. (…) Durant une petite semaine, on ne voyait ni n’entendait que l’amélanchier, puis il s’éteignait dans la verdure, plus un son, parti l’arbre solo, phare devenu inutile. Le bois se mettait à bruire de mille voix en sourdine, puis le loriot chantait et mon père disait à propos de l’amélanchier qu’il c’était retiré: «Laissez-lui la paix: il prépare sa rentrée d’automne.» L’été se passait et que trouvions-nous? Quelques baies noires rabougries, laissées par les oiseaux, et un amélanchier content d’avoir écoulé son stock de minuscules poires pourpres avant notre retour, premier à avoir ouvert la saison, premier à la fermer, (…)» – Tout est vendu, revenez l’année prochaine, mais de préférence avec des ailes. Avec des ailes? Nous restions là, devant lui, interdits. Il ajoutait: – Allez, allez, le chêne vous attend: il lui reste des glands.« (pp. 27-29)

Le ton est donné, le cadre est planté par le père et sa fille. Suivons-les du bon et du mauvais côté des choses. Un texte riche, émouvant ,parfois étonnant et déstabilisant. À très certainement relire pour en approfondir la portée et le sens.

L‘Amélanchier a connu plusieurs éditions depuis 1970. L’édition de 1992 est enrichie de plusieurs annexes des plus intéressantes et éclairantes: Préface, Avant-propos, Notice, Notes, Bibliographie, Choix de jugements, Sommaire biographique.

«Ce conte, aussi qualifié de récit, de fable, de roman, de poème, de conte moral et d’allégorie, constitue l’un des textes phares de la mythologie ferronnienne. Unanimement et magnifiquement salué par la critique depuis près de cinquante ans.»

La bibliographie de Jacques Ferron que l’on retrouve aux pages 175-184 de l’édition 1992 de L’amélanchier nous démontre qu’il a écrit non seulement des romans, contes et récits, mais aussi des recueils de textes divers, des oeuvres pour le théâtre et pour la radio. Pourtant, je n’en suis qu’à la lecture d’un deuxième titre de Jacques Ferron : L’amélanchier.

Dans cette même édition de 1992 de l’œuvre, on peut lire des extraits de critiques dont voici des échos:

«(…) Devant cette œuvre (…) je me sens envoûté comme devant quelque objet, (…) sacré; (…) et j’ai écrit à Ferron sur le champ, (…) je lui ai dit (…) que c’était un chef-d’œuvre. (…) En tout cas s’en était un, à mon idée première et qui n’a pas changé. (…) Une œuvre à part? D’une émotion particulière advenue comme un don (…) Dans L’amélanchier il n’y a pas seulement l’enfance, il y a l’art (…) et je ne sais quelle gravité dans tout cela, (…)». (Pierre Vadeboncoeur pp. 189-190)

«L’Amélanchier est un livre d’intense poésie. (…) Livre d’illusions historiques et littéraires, livre de lettré, qui sait s’amuser avec les mythes. (….).» (Jean-Éthier Blais p. 191)

«Ferron (…) possède l’art de créer des personnages insolites, mi-fable, mi-réalité. (…) Le souffle poétique les meut, mais c’est une poésie tendre et lucide. (…) L’Amélanchier, c’est avant tout une histoire vraie, l’histoire de tout enfant qui accède à l’état adulte. Et c’est à la fois plein de promesses et lourd de nostalgie.» (L’Église canadienne p. 192)

«Voici un récit qu’il faut lire… pour croire encore à l’enfance.» (Julia Richer, p. 194)

«(…) le conte de L’Amélanchier est un univers complet. À ce titre, il est à ranger parmi les livres majeurs de notre littérature.» (Jean-Marcel Paquette p. 195)

«Cette œuvre s’inscrit dans la grande lignée des livres de l’enfance perdue ou retrouvée, avec Le Grand Meaulnes, Le Petit Prince, Alice au pays des merveilles, Le Diable au corps… Il constitue à tout le moins au sein du corpus québécois l’une des très belles célébrations de l’enfance et de ce qui vient malheureusement après»

Source:

FERRON, Jacques, / L’amélanchier / édition préparée par Pierre Cantin, Marie Ferron, Paul Lowis / Préface de Gabrielle Poulin / Typo, / Montréal / 1992 / 207 pages

Lire aussi:

BLAIS, Marie-Christine / L’Amélanchier: le petit livre du grand Jacques / La Presse / 29 juin 2013

Envoyer un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *