Mathieu Bélisle m’étonne encore

29 juillet 2018

Quelle ne fut pas ma surprise en lisant ce qui suit:

«Au début du XXe siècle, un certain Andrew Carnegie, industriel et philanthrope (il a donné son nom à la célèbre salle de concert Newyorkaise), (…) se prépare à offrir une importante somme d’argent pour la construction d’une bibliothèque publique francophone à Montréal.» (p. 159)

C’est le maire de Montréal, Raymond Préfontaine, qui a sollicité le financier américain. Ce dernier accepte «de payer la consctruction de l’édifice à condition que Montréal s’engage à couvrir les frais d’exploitation.» (p. 159)  «Le conseil municipal accepte d’étudier la proposition (…) Mais l’opposition s’organise rapidement.» (p. 159)  L’auteur en décrit la nature. Cette lecture est troublante d’autant que certains arguments de l’époque s’entendent encore plus de cent ans plus tard : «(…) mieux vaut s’occuper de la police et de la réfection des rues et trottoirs, qui sont dans un piètre état (…).» (p. 160)

Le plus farouche adversaire du maire Préfontaine est le conseiller Édouard Chaussé. Voici ce qu’il écrit dans La Presse le 30 avril 1903 :

«La ville de Montréal n’a pas besoin d’une bibliothèque comme on en trouve dans les grandes villes d’Europe. Nous n’avons pas ici cette classe d’hommes, plongés dans les études scientifiques, et pour qui les bibliothèques sont des cabinets de travail. Et combien d’autres ne fréquentent les bibliothèques publiques que pour se repaître de lectures dangereuses et immorales. (…) Une bibliothèque, c’est une chose de luxe, et, certes, nous avons bien trop de besoins d’absolue nécessité pour y penser.» (pp 160-161)

N’est-il pas désespérant de lire ce discours et encore plus désespérant de l’entendre de nouveau en 2018.

Après une ultime offensive, «le maire Préfontaine se voit contraint de décliner la proposition de Carnegie.» (p. 161)

Les statistiques suivantes sont à pleurer : En 1937, il y a six cent quarante deux bibliothèques publiques au Canada. De ce nombre, vingt-six sont au Québec dont dix-sept sont anglophones. Comprendre que le Québec ne compte que neuf bibliothèques francophones dont uniquement deux à Montréal.

L’auteur reconnaît que «Depuis un demi-siècle, la situation du Québec s’est considérablement amélioré.» (p. 162) Et pourtant, c’est encore au Québec où il y a le moins de bibliothèques. «(…) les Québécois sont ceux qui, parmi les Canadiens, lisent le moins de livres et le moins d’histoires à leurs enfants à l’heure du coucher.» (p. 162)  «(…) plus de la moitié de la population est encore incapable de déchiffrer un texte simple» (p. 163) ce qui, pour l’auteur, «constitue le plus grand scandale du Québec moderne». (p. 163)

Ce n’est pas en normalisant les résultats des examens scolaires pour projeter une image réconfortante du taux de diplomation, que le niveau de l’alphabétisation s’améliorera.

L’auteur ne pratique pas la complaisance. Il reconnaît les progrès mais ne masque pas les zones d’ombre. Il a le courage de les nommer et de les dénoncer. Il traite ses sujets en leur donnant de la perspective, donc, de la profondeur. Ce dont nous avons grand besoin.

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BÉLISLE, Mathieu, / Bienvenue au pays de la vie ordinaire Essai / Montréal, Leméac, copyright 2017 /240 pages

L’auteur et son livre aux Éditions Leméac

Une réponse sur “Mathieu Bélisle m’étonne encore”

  1. Je garde un souvenir réjouissant pour l’avenir à la lecture de cet homme. La perspective intellectuelle ne doit jamais manqué du courage lucide et non-complaisant de dire les choses.

    L’un de mes plus beaux souvenirs de jeunesse c’était de visiter, d’en admirer l’architecture, de lire tout ce que je pouvais. J’y ai découvert mon abyssal ignorance mais aussi mon immense plaisir et la joie de connaître et de comprendre…je me suis découvert patient et respectueux devant ce mystère……j’avais treize ans et c’était à la grande bibliothèque de la ville de Montréal au Parc Lafontaine rue Sherbrooke.

    Russell Flanagan

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