« Le mal noir » de Nina Berberova

22 décembre 2016

C’est dans le cadre du club de lecture de la Grande bibliothèque que j’ai lu Le mal noir de Nina Berberova et que j’ai choisi de parler de ce livre dans le cadre de l’émission Des livres plein les oreilles sur canal Mémission qui sera diffusée le 12 janvier 2017.

 Nina Berberova – parcours :

Nina Berberova est née à Saint-Pétersbourg en 1901. Elle quitte la Russie en 1922, d’abord vers Berlin puis Paris où elle s’installe en 1925. En 1950, elle rejoint les USA et devient citoyenne américaine en 1959. Elle meurt à Philadelphie en 1993. Ses œuvres ont été traduites et publiées en français vers la fin de sa vie et après son décès.

Le mal noir

Le mal noir est un ouvrage court (106 pages) mais dense. Il se développe en trois parties, trois temps, trois lieux : Paris, New-York, Chicago. Trois figures féminines majeures l’habitent : l’épouse, la danseuse AliaIvanova et la fille du patron newyorkais, Loudmila Vlovna. Enfin, trois leitmotiv parcourent le récit : le mal noir, la bombe et Droujine. Le texte est écrit au je, le je de Evguéni Petrovitch. En si peu de pages, l’auteure fait intervenir plusieurs personnages, crée des situations particulières, décrit des ambiances inspirantes et nourrit de profondes réflexions. Le livre est si dense que l’on ne peut le raconter en quelques minutes. Il faut le lire et même le relire (ce que j’ai fait) pour l’apprécier pleinement.

Le récit commence ainsi : «Les boucles d’oreilles étaient restées neuf ans au Mont de piété.» (p. 9)

(Un Mont-de-piété est un organisme de prêt sur gage, qui a pour mission de faciliter les prêts d’argent, notamment en faveur des plus démunis.)

Evguéni Pétrovitch s’y présente 9 ans après le décès de son épouse.

(Ce ne sera que dans la dernière partie du livre que l’on découvrira les conditions et circonstances du décès de son épouse.)

Il a besoin d’argent. Il veut quitter vers les États-Unis. Au fil des démarches pour vendre les bijoux, on lui apprend que l’un des diamants a le mal noir et que cette pierre ne vaut rien. Il est effondré car son projet de départ est compromis; pas assez d’argent.

On comprendra au fil du texte que le mal noir a une forte charge symbolique, comme d’ailleurs ces cris de révolte et de douleur: «Si quelqu’un m’avait procuré une bombe, vers qui l’aurais-je lancée?» (p. 20) «Si quelqu’un me donnait une bombe, je ferais exploser la planète» (p. 39) «Si on me donnait une bombe…» (p. 87)

C’est grâce à une entente avec la danseuse, Alia Ivanova, le partage d’une chambre, qu’il obtiendra l’argent pour s’embarquer pour l’Amérique.

La première partie se termine sur cette réflexion : «Il y a tant de choses dans la vie qu’on ne sait nommer, tant de questions qui restent sans réponse, (…) Il y a tant de phénomènes inexplicables. Le mal noir qui m’habite depuis un million d’années…» (p. 41)

La deuxième partie se passe à New-York où Evguini tisse des liens particuliers avec Lev Vlovitch Kaliaguine pour qui il travaille et surtout avec la fille de ce dernier, Loudmila Vlovna qui va jusqu’à le supplier de l’épouser. Emprisonné dans son passé, il s’esquive. On y lit des propos bouleversants sur l’incommunicabilité. Loudmila perçoit Evguéni comme un homme heureux alors qu’il est habité par une terrible fêlure. Il se définit ainsi : «Je suis faible, inutile, en proie à une sorte d’immobilité, et il me manque la qualité humaine essentielle : savoir mourir et ressusciter intérieurement. Je n’aime ni la vie ni les hommes, j’en ai peur comme tout le monde, (…) Je ne suis pas libre, rien ne me réjouit; (…)» (p. 90)

Evguéni partira seul pour son Chicago imaginaire, son Droujine imaginaire. C’est sur cette rupture que se termine la deuxième partie.

Dans la troisième partie, Evguéni arrive à Chicago. Il se rappelle la mort de sa femme pendant un bombardement à Paris alors qu’ils faisaient tendrement l’amour. Il n’a rien oublié, rien effacé, malgré Alia, malgré Loudmila. Il écrit : «Depuis des années tout m’est indifférent. (…) Je voudrais bien guérir! Mais je ne puis venir à bout du mal noir, je ne puis ressusciter. Des millions d’années ont passé depuis sa mort, je ne sais toujours pas où je vais, je tourne en rond, je vis dans des endroits où je suis arrivé je ne sais comment. Je suis moi-même un miroir qui ne reflète plus rien.» (p. 100).

Et on lit cette splendide déclaration d’amour. «Elle a été pour moi tout ce que notre galaxie avait de bon, le reste n’était que Neptune et Pluton. Près d’elle, je n’avais nulle envie de feuilleter des livres, avec ou sans images. La musique, le ciel étoilé me revenaient à travers elle. En elle, le monde entier me montrait sa face aimable, (…)» (p. 100)

Les dernières pages sont une ode à son amour perdu. « Rien ne m’aide à surmonter ma perte, à accepter mon malheur, à m’accommoder avec talent de la catastrophe. Catastrophe personnelle, j’entends, ce sont les seules qui m’intéressent. » (…) Dans un sous-sol, dans une ville, dans un royaume où nous avons été ensevelis, je l’avais protégée de mon corps. (…) Nous avions tremblé ensemble, avec tout le sous-sol et tout l’immeuble avant qu’il s’écroule sur nous. C’était l’une de nos nuits les plus terribles, les plus heureuses aussi.» (pp. 101-102)

C’est à la toute fin de l’ouvrage que Evguéni Pétrovitch lève l’énigme de Droujine. «Mes soirées, je les passerai à chercher Droujine dans les rues de Chicago. Il doit bien se trouver quelque part! Je me suis tellement habitué à l’idée qu’il existait que je finirai peut-être par tomber sur lui. (…) Nous avons tant de choses à nous dire. Si je ne le trouve pas, j’irai plus loin. L’endroit où l’on vit n’a pas grande importance» (p. 106), conclut-il.

 Bonne lecture !

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SOURCE :

BERBEROVA, Nina, Le mal noir, Actes sud, copyright 1989, 106 pages.
Services québécois du livre adapté (SQLA) : titre disponible en braille abrégé et en audio.

 

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