16 novembre 2022
La vie professionnelle de Guy Rocher est faite d’une succession d’engagements dans des dossiers majeurs de la transformation de la société québécoise. L’un de ses nombreux temps forts consignés dans la biographie écrite par Pierre Duchesne est son implication dans la conception et l’élaboration de la charte de la langue française. C’est au chapitre 23 du 2e tome de cet ouvrage que l’on est replongé au cœur de l’effervescence de ce brassage socio-politique. Il est bon de rappeler que le dépôt de la Charte de la langue française et celui de la Loi 101 ont eu lieu à l’intérieur de la première année du premier gouvernement du parti québécois, soit en 1977.
Il est de notoriété publique que René Lévesque entretenait des réticences et des doutes autour de ce projet si cher à Camille Laurin. Il est néanmoins particulièrement intéressant de lire des propos exprimés par des acteurs influents dans cet ambitieux et marquant projet.
À cause de cela, et de l’éclairage que ces propos projettent, je reproduis ci-après quelques citations que l’on peut lire dans la biographie, propos qui proviennent de l’entourage immédiat des acteurs principaux de la naissance de la charte de la langue française:
«Guy Rocher, travaillant étroitement avec Camille Laurin, connaît son diagnostic à l’égard de Lévesque et de ses nombreuses hésitations à l’égard du projet de Loi 101. «Camille percevait monsieur Lévesque comme le vrai représentant de nos ambiguïtés québécoises, de nos complexes, de nos contradictions. Il demeurait en lui un fond de notre passé de colonisée.» Selon Laurin, le Québécois est un homme inachevé, «confus… incapable d’intégrer les éléments de sa riche personnalité… d’assumer pleinement sa liberté, son histoire et son existence». Le colonialisme qui a exploité le Québec a freiné son développement autant personnel que collectif. «Je considère, écrit Rocher, qu’en adoptant cette thèse, Laurin faisait montre d’une vision tragique du Québécois francophone, de son passé et de son présent, de son être individuel et collectif. Mais chez Camille Laurin, cette vision tragique n’était ni fataliste ni désespérée. Au contraire, elle ouvrait sur des projets d’intervention thérapeutiques, sur des promesses de guérison. Elle pouvait même servir de tremplin pour une prise en charge de son avenir et de sa destinée.» (pp. 398-399)
Camille Laurin confiait à Guy Rocher que
«Comme psychiatre, (…) j’ai trop vu de colonisés chez les Québécois. J’ai trop vu le Québécois ambivalent, étouffé… J’ai essayé de traiter autant le citoyen que la personnalité. C’est comme ça que je suis devenu indépendantiste, par le regard que la psychanalyse me permettait de porter sur le Québécois moyen que j’avais comme patient.» (p. 399)
Camille Laurin disait encore:
«Avec la langue, on acquiert la confiance en soi et la dignité qui nous permettaient ensuite d’avoir une identité nationale, (…).» (pp. 399-400)
«En travaillant plus près de René Lévesque, Guy Rocher réalise que sous l’armure du premier ministre se cache une certaine fragilité. «J’ai découvert plus de faiblesses chez lui que je ne le pensais» (…) «J’avais pensé qu’il irait plus loin avec nous sur la loi 101. (…)» «Lévesque porte les hésitations des Québécois et une certaine humiliation. Il rejoint sans doute ce «fond d’angoisse dans la culture québécoise, dans la mentalité québécoise, dans la conscience d’être québécois (…) Les Québécois, issus d’une nation inachevée, aiment René Lévesque parce qu’il nous ressemble, (..)» «Le destin ne pouvait que le choisir comme accoucheur de notre liberté.» (p. 400.
En plus de nous révéler Guy Rocher, l’homme et surtout son œuvre, Pierre Duchesne nous introduit dans les coulisses des divers niveaux de pouvoir en nous fournissant des témoignages et des documents d’archives. C’est un pan de l’histoire du Québec qui se déploie au fil de la lecture.
Source :
DUCHESNE, Pierre / Guy Rocher Tome II (1963-2021) Le sociologue du Québec / Montréal, Québec Amérique, 2021 / tome 2. 624 pages