3 novembre 2023
Dans Le Devoir du 2 octobre, Nathalie Plaat publiait cet article: Partir, mourir, Tout est dans la manière, à la suite d’un colloque franco-québécois sur les soins palliatifs, à Clermont-Ferrand, en France.
Nathalie Plaat y a
«présenté l’état actuel de mes travaux sur la profondeur des bouleversements existentiels, voire spirituels, éprouvés par les médecins lorsqu’ils annoncent de mauvaises nouvelles en oncologie.»
Elle confie:
«Je suis repartie du colloque avec cette impression qu’il y avait mille manières de mourir, mais que certaines relevaient davantage du «bien mourir» que du «mal mourir» quand même. Je me suis demandé si, dans ce domaine comme dans bien d’autres, nous n’avions pas une manière encore trop collée à des injonctions de performance, d’efficacité, d’actes rémunérés, d’organisations de soin, pour accorder à ces moments cruciaux, quelque chose comme une attention reposant sur des choses difficilement chiffrables, comme une qualité de présence, une confiance, une curiosité de l’autre, une patience et un silence dense comme celui de l’auditorium de Clermont-Ferrand.»
Vers la fin de son article qui nous plonge dans l’’essentiel qui nous étrangle, que l’on voudrait éviter, elle s’adresse aux lecteurs qu’elle invite à répondre à des questions telles que:
«Comment pensez-vous votre mort? Y pensez-vous vous-même? Et, si oui, comment se présente-t-elle à vous, comme une terreur? Un mystère? Une aventure? Un moment important?»
Quelques lecteurs ont répondu à cet appel. On peut les lire dans le Devoir du 30 octobre sous la rubrique La dernière fête?
En voici quelques extraits:
— Mais tout d’abord, ma propre réponse:
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai été habitée par la terreur de la mort. Si je peux lire de tels articles maintenant, sans complètement me désorganiser, un important cheminement s’est produit. Reste que le sens de la vie qui mène irrémédiablement à une rupture reste entier. S’investir pleinement dans cette vie alors que l’on sait que le couperet ne nous ratera pas, c’est un défi d’équilibriste.
— D’autres récits, d’autres morts
«Pour moi, mourir signifie ne plus être là, avec les autres. Comme une fête à laquelle je n’aurais pas été invitée. […] Je ne veux pas mourir dans mon sommeil. (…) Je ne veux pas mourir de façon accidentelle, je ne veux pas d’une mort qui vient comme une voleuse. Je veux pouvoir me préparer. Je veux avoir le temps de refaire le tour de ma vie, de m’offrir mes derniers moments de bonheur. Et, surtout, je ne veux pas mourir seule. Je veux un visage, une main, des mots, tout près, pour m’aider à traverser la grande séparation.» (Andrée Lévesque, Montréal)
«Depuis toujours, les avis de décès me fascinent et, en même temps, me désolent. Ils sont de plus en plus automatisés, (…) sans âme… (…) J’ai donc rédigé mon avis de décès il y a cinq ans. J’en ai fait un hommage à ma vie, à ce cadeau qu’est la vie! (…)
Je veux réussir ma sortie. Mettre du beau dans cette noirceur. J’aime les mots et la langue française. Donc, qui peut mieux parler de moi et de ma vie que moi-même ? Les chansons sont aussi choisies ; (…) Le lieu pour la fête reste à déterminer, mais ce sera un lieu significatif pour moi. (…)»
«(…) alors que je suis en traitement préventif de chimiothérapie, la vie reprend doucement du pouvoir, mais l’idée de la mort m’accompagne tous les jours. Elle n’est pas encore mon amie, mais j’accepte sa présence.
Penser à la mort me ramène au beau et au bon qui m’entourent.
Penser à la mort me ramène à l’essentiel, au vrai, au touchant.
Penser à la mort me fait dresser une liste de lieux à découvrir encore, d’escapades à faire.
Penser à la mort me ramène en arrière, à ce qui a été, mais surtout aux liens tissés sur ce parcours de vie si précieux à mon coeur.
Mais penser à la mort me fait aussi comprendre que je devrai quitter ma fille, (…) que je quitterai aussi l’homme des presque 25 dernières années, (…) C’est en pensant à ces êtres que je réalise que je ne suis pas prête à mourir et que bien du travail, dans ma tête mais surtout dans mon coeur, reste à faire pour accepter cet ultime détachement. (…) Si j’ai la chance de voir venir la mort, j’aimerais recevoir à mon chevet tous mes précieux alliés, avoir une dernière conversation et leur permettre de repartir avec un objet, un livre… Donner mes biens, me départir de tout avant le grand départ! (…) Je veux donc réussir cette dernière fête. Je la veux touchante, aussi, joyeuse et remplie d’amour… mais la plus lointaine possible.
(…)»
«Pour la première fois de ma vie, je prends conscience que je ne suis pas plus fine qu’une autre, moi aussi ça va m’arriver. […] J’apprends à cheminer tout doucement vers ma propre finitude. À certains moments, je perds les pédales et, à d’autres, je me dis que la mort doit m’habiter. Ce n’est pas un choix, nous devons tous l’accueillir et lui donner la place perdue dans notre société de performance. Nous préparons la naissance d’un enfant, apprenons aussi à préparer notre départ.» (Katherine Tremblay, Sainte-Pétronille, Île d’Orléans)
«Je voudrais que ce soit un moment de gratitude pour célébrer la vie : nos baisers, nos corps, nos entrailles, nos enfants, nos amis, nos amours, les luttes et les larmes, les succès et les souffrances. Que la mort soit le grand livre ultime des visages. Quand je vous regarde tous, moi qui suis médecin, j’aime vos cernes, j’aime vos rides et vos graisses, j’aime vos dents et vos moelles et vos histoires qui portent la mort. Qui ont traversé les jours, bousculé les nuits. Je suis émue, immensément, par cette humanité qui se décline par notre mort.» (Renée Laberge, Québec)
«(…) ce que j’aimerais, c’est être en paix avec ma mort au moment où elle arrivera. En paix et présente.» (Joanna Gruda, Montréal)
Ces textes me touchent profondément. Je remercie Nathalie Plaat et tous les lecteurs du Devoir qui se sont exprimés sur leur approche de la mort. Merci au Devoir d’avoir publié ces textes qui nous invitent à regarder la réalité en face au lieu de la fuir sans pouvoir la modifier.
Sources:
PLAAT, Nathalie / Partir, mourir, Tout est dans la manière / Le Devoir / Section Chroniques / 2 octobre 2023
GRÉGOIRE, Francine / La dernière fête / Le Devoir / Section Opinion, Libre opinion / 30 octobre 2023
La dernières fëte: D’autres récits d’autres morts / Le Devoir, Section Opinion, Libre opinion / 30 octobre 2023