29 juillet 2023
L’historien, Jean-François Nadeau nous propose une tranche d’histoire mettant en scène l’évolution de la pratique de la bicyclette par les femmes. Ce portrait est à la fois intéressant et amusant.
La pratique et les mentalités changent mais non sans résistances.
La journaliste Joséphine Marchand-Dandurand écrit à la fin du XIXe siècle:
«Ce que je crains moi, c’est que le règne de la pédale et du guidon ne nous fasse une génération de filles athlètes en bottes carrées, en jupons courts et aux mains déformées. Que deviendront les arts gracieux entre ces mains alourdies? Que deviendront le piano, le pinceau et l’aiguille? Que fera-t-on des livres et qu’adviendra-t-il de la science si délaissée de la conversation?»
Mais, un peu plus tard, cette journaliste ajoute:
«Pour avoir un beau teint, de beaux yeux et une figure gracieuse, la femme doit prendre beaucoup d’exercice au grand air, sur le bicycle de préférence, parce que moins cher qu’un cheval et beaucoup plus agréable qu’un exercice à pieds».
«En 1893, le journal La Patrie fait (…) une mise en garde contre les effets du vélo sur la morphologie féminine. Trop de muscles, soudainement, risque de briser les silhouettes autrement avantageuses des jeunes femmes…»
«Quand le microbe de la bicyclette s’est propagé avec la foudroyante rapidité que l’on sait, on a pu espérer un moment qu’il limiterait ses ravages à la partie barbue de la population. […] Ces dames se mettent à pédaler à outrance. Cela devient une rage.» Le vélo promet, à entendre ces propos d’ultraconservateurs, des «cous tannés par un amalgame de poussière et de soleil», des «poitrines renfoncées», des «épaules voûtées»et, bien sûr, des «varices aux jambes» et des callosités «un peu partout».
Sourdes à de tel propos, de plus en plus de femmes performent à bicyclette depuis le XIXe siècle: La québécoise Louise Armindo, la française Hélène Dutrieux, l’italienne Alfonsina Strada, Aimée Phnner, les québécoises Jeanne Gauthier, Flore Leveillé et France Richer, etc. Et c’est grâce à Claire Morissette que des pistes cyclables ont été aménagées dans les rues et sur les ponts au Québec à compter des années 1970.
Donner de la perspective historique à tout phénomène social fait œuvre pédagogique et aide à nous inscrire dans l’évolution des pratiques et des mentalités.
Source :
NADEAU, Jean-François / La bicyclette comme moteur de combats féministes / Le Devoir / Section Actualités / 26 juillet 2023