Le lambeau, billet 3

30 mars 2019

«C’est foutu avec Gabriela». Troisième extrait, chapitre 6

Plus d’une personne me suggérait la lecture du témoignage de Philippe Lançon, journaliste victime de l’attentat de Charlie Hebdo, Le lambeau.

J’hésitais à entreprendre cette lecture car tout texte dans lequel la violence est décrite avec force détails m’est absolument insoutenable; elle m’angoisse, me traumatise, me fait mal physiquement. Donc, je m’abstiens. Pourtant, je viens d’aborder cet ouvrage de plus de 500 pages.

Je ne désire pas le raconter: il faut en faire une lecture personnelle. Je ne désire pas le commenter: il faut l’absorber. J’ai simplement le besoin de porter à votre attention de courts extraits dont la première lecture a eu un écho particulier en moi. Et je le ferai en divers billets au fil de l’évolution de ma lecture.

«C’est foutu avec Gabriela». Troisième extrait, chapitre 6

…«Cependant, je n’ai pas écrit cette phrase sur la tablette Velleda pour conjurer ce qu’elle annonçait. Je l’ai écrite pour me soulager du chagrin que je pressentais: écrire, c’était protester, mais c’était aussi, déjà, accepter. La première phrase a donc eu cette vertu immédiate: me faire comprendre à quel point ma vie allait changer, et qu’il fallait sans hésitation admettre tout ce que le changement imposerait. Les circonstances étaient si nouvelles qu’elles exigeaient un homme, sinon nouveau, du moins métamorphosé, au moral comme il l’était physiquement. Tout s’est joué, je crois, dans ces premières minutes. Un mélange de stoïcisme et de bienveillance a défini mon attitude pour les mois suivants: il a pris source dans cet instant, sous cette lumière et dans cette simple phrase: “C’est foutu avec Gabriela” … Mais dans la mesure où mon corps subissait une métamorphose brutale et irréversible, cette manière d’être est devenue ma seconde nature, … . Les chirurgiens allaient aider la nature à réparer mon corps. Je devais aider cette nature à fortifier le reste. Et ne pas faire à l’horreur vécue l’hommage d’une colère ou d’une mélancolie que j’avais si volontiers exprimées en des jours moins difficiles, désormais révolus.» (pp. 120-121)

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Lançon, Philippe / Le lambeau / Paris, Gallimard, 2018 / 510 pages

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