Le lambeau, billet 2

29 mars 2019

Baudelaire. Deuxième extrait, chapitre 5

Plus d’une personne me suggérait la lecture du témoignage de Philippe Lançon, journaliste victime de l’attentat de Charlie Hebdo, Le lambeau.

J’hésitais à entreprendre cette lecture car tout texte dans lequel la violence est décrite avec force détails m’est absolument insoutenable; elle m’angoisse, me traumatise, me fait mal physiquement. Donc, je m’abstiens. Pourtant, je viens d’aborder cet ouvrage de plus de 500 pages.

Je ne désire pas le raconter: il faut en faire une lecture personnelle. Je ne désire pas le commenter: il faut l’absorber. J’ai simplement le besoin de porter à votre attention de courts extraits dont la première lecture a eu un écho particulier en moi. Et je le ferai en divers billets au fil de l’évolution de ma lecture.

Baudelaire. Deuxième extrait, chapitre 5

«Avec Baudelaire, qui allait bientôt m’accompagner comme un passager clandestin dans les moments les plus délicats, j’aurais presque pu dire:

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins

Presque, seulement. L’aile vigoureuse était alourdie par un je-ne-sais-quoi, tandis que les premiers secours se penchaient sur moi et, … découpaient avec d’énormes ciseaux brillants les manches de mon joli caban. J’ai protesté, je ne voulais pas me séparer de lui, je ne voulais pas le perdre, ni lui ni mon sac ni mon portable ni rien, … (p. 106)

… Ils m’ont emporté lentement, quoique assez vite, et j’ai une première et dernière fois survolé certains de mes compagnons morts. Baudelaire finissait Élévation sur ces vers:

Celui dont les pensées, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
— Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!

En m’élevant, vers quoi prenais-je essor? Mes pensées, des alouettes? Alouettes, je vous plumerai! Je planais sur mes compagnons morts et comprenais sans effort leur langage sans pleurs. Je comprenais désespérément le mutisme de ceux que j’abandonnais car, à cet instant, j’étais encore l’un d’eux.» (p. 107)


          Lançon, Philippe / Le lambeau / Paris,  Gallimard, 2018 / 510 pages

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