Le conservatisme québécois selon Guy Rocher

21 novembre 2022

Dans son livre Le Québec en mutation, Guy Rocher identifie les trois sources du conservatisme québécois:

«Les origines rurales, le catholicisme et «l’insécurité individuelle et collective d’un groupe aliéné et isolé». (p. 551)

Il explique ainsi chacune de ces sources:

«les origines rurales auraient favorisé une propension individualiste et un certain ritualisme. Quant à l’Église catholique au Québec, qui n’a «cessé d’adopter une attitude conservatrice et réactionnaire», occupant le devant de la scène, elle a étouffé «les nouveaux courants de pensée dont les derniers siècles ont été si riches». En ce qui concerne la profonde insécurité ressentie par la minorité francophone en Amérique, (…) elle s’est surtout exprimée en termes économiques. «La crainte de voir les capitaux étrangers se retirer du Québec trop rebelle et trop indépendant d’esprit trouve dans la conscience canadienne française des échos qui remontent à loin. Cet argument des avantages acquis, le clergé et les chefs politiques l’invoquaient pour rallier la fidélité des Canadiens français à l’Empire britannique devant la menace américaine. Ce sont les mêmes arguments que l’on reprenait pour condamner un syndicalisme trop agressif jusqu’au milieu du XXe siècle. Aujourd’hui, c‘est contre l’idée d’indépendance du Québec que l’on a recours au même arsenal d’arguments. Et la preuve est depuis longtemps faite que cette forme de menace ou de chantage a une efficacité certaine. Malgré la modernité, ce conservatisme diffus agirait toujours. Ce «trop long entraînement à la soumission» a hinibé «l’esprit de créativité et l’imagination du Québécois», (…) Cela a joué un rôle dans son incapacité a changé le statut politique de sa province et à envisager l’indépendance. (…)». (pp. 551-552)

En 1971, René Lévesque n’allait-il pas dans le même sens en disant:

«L’échec avec un E majuscule, c’est foncièrement la difficulté collective qu’on a de décider. C’est ça qui nous a rattrapés assez vite et c’est ça qui, encore aujourd’hui, fait cette espèce de stagnation collective du Québec dans laquelle on est en ce moment. C’est le manque presque institutionnalisé d’aptitude à prendre des décisions importantes, ou en tout cas, les retards terribles et puis l’espèce de don maudit pour les hésitations permanentes. Ce qui devient, littéralement, une dégradation de la faculté de responsabilité». (pp. 552))

C’est Claude Corbo qui dit que

«Guy Rocher deviendra peut-être notre mauvaise conscience» en nous rappelant à nos devoirs et en nous plaçant devant notre incapacité à décider. «je pense (…) que Guy Rocher a compris que le Québec demeure une société colonisée, une société subordonnée, une société dominée». (…) «mais on n’aime pas l’entendre, (…) ça nous dérange parce qu’on a l’impression que l’on a fait la paix et qu’on est bien.» (p. 554)

Pour Guy Rocher,

«les deux échecs référendaires représentent une peur du changement. Un changement qui paraissait trop radical, qui nous amenait trop loin.» Craignant d’aller trop loin, les Québécois sont restés immobiles, préférant «la prospérité qui correspond à une société de consommation, ce confort auquel on tient comme Québécois. (…) Face aux échecs référendaires, devant toute cette énergie collective perdue, bientôt dispersée, les Québécois se retrouvent devant leur vie personnelle. Les ambitions surdimensionnées font place à des objectifs plus modestes. Peut-être est-ce «l’aspiration à la bonne vie». (p. 555)

Si je cite ici ces quelques réflexions, C’est qu’elles me touchent, que je les crois utiles à méditer, à discuter même.

Dans la conclusion de l’intéressante et impressionnante biographie que consacre Pierre Duchesne à Guy Rocher, il souligne que

«L’activisme dont »Guy Rocher« fait preuve, même âgé de 97 ans, démontre qu’il n’y a pas d’âge pour s’indigner, et que l’on est jamais trop vieux pour s’engager dans la cité ». (p. 609)

     Quelle grande leçon de vie!


Source:

DUCHESNE, Pierre / Guy Rocher  Tome II (1963-2021) Le sociologue du
Québec /  Montréal, Québec Amérique, 2021 / tome 2. 624 pages

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