16 octobre 2021
En abordant un nouveau titre de Andreï Makine,L’archipel d’une autre vie, je retrouve avec plaisir et émotion la beauté de sa langue, la richesse de son vocabulaire, la palette du peintre des mots qui nous donne à voir et à ressentir les univers qu’il aborde, sa profondeur de réflexion.
Cependant, l’histoire est rude, le contexte est dur, la critique sous-jacente, les questionnements interpellants.
Je ne saurais mieux résumer le livre que ce qu’on y lit en présentation.
«Aux confins de l’Extrême-Orient russe, (…) s’étendent des terres qui paraissent échapper à l’histoire. Qui est donc ce criminel aux multiples visages que Pavel Grtsev et ses compagnons doivent capturer à travers l’immensité de la taïga? C’est l’aventure de cette longue chasse à l’homme qui nous est comptée (…) C’est aussi un dialogue hors du commun, presque hors du monde, entre le soldat épuisé et la proie mystérieuse qu’il poursuit. Lorsque Pavel connaîtra la véritable identité du fugitif, sa vie en sera bouleversée. La chasse prend une dimension exaltante tandis qu’à l’horizon émerge l’archipel des Chantars : là où une «autre vie» devient possible dans la fragile éternité de l’amour.» (résumé)
Je suis très sensible au peintre littéraire qu’est Makine, voilà pourquoi je vous offre deux de ses nombreux tableaux.
«Un matin, en reprenant ma marche, je me rappelai les coups que j’avais reçus au visage et, très clairement, je compris qu’il n’y avait plus, en moi, aucune envie de vengeance, aucune haine et même pas la tentation orgueilleuse de pardonner. Il y avait juste le silence ensoleillé de la rive que je longeais, la transparence lumineuse du ciel et le très léger tintement des feuilles qui, saisies par le gel, quittaient les branches et se posaient sur le givre du sol avec cette brève sonorité de cristal. Oui, juste la décantation suprême du silence et de la lumière.» (chapitre V)
«En direction de l’archipel) :
«(…) la mer gonfle, explose, se chiffonne de crêtes d’écume, s’enfle dans un rapide mûrissement des masses d’eau qui exhibent leurs entrailles verdâtres, me fouettent de sel, entraînent le bateau dans un glissement oblique, lui faisant heurter une vague en fuite. Au-dessus de ce cahos, le ciel demeure d’une sérénité impassible, égale dans sa tonalité d’acier, un miroir mat qui reflète ce grain de poussière – notre batau – perdu au milieu du néant. Le soleil ne s’est pas encore levé et cette clarté sans nuances est celle d’une planète inconnue, recouverte tout entière d’un océan des premiers âges. «(…) je vois un mur liquide qui se dresse à bâbord, tout près du bateau. Une vague de quatre mètres qui semble statique, tel un écran le long duquel nous glissons, luttant contre un courant qu’aucune houle ne trahit. Le mur est presque transparent et son épaisseur de jade est illuminée par le soleil levant (…).» (chapitre VI)
SOURCE :
MAKINE, Andreï / L’archipel d’une autre vie / Éditions du Seuil / 2016 / 288 pages