12 juin 2024
Il y a près d’un an que j’attendais ce moment, cet événement, cette fresque théâtrale de l’oeuvre de Michel Tremblay, La traversée du siècle, conçue par le regretté André Brassard et Alice Ronfard qui l’a menée à terme. Je m’y suis préparée par la lecture de l’ensemble des Chroniques du Plateau Mont-Royal et de celle de Victoire. J’avais fébrilement tenté de m’acheter des billets pour être de l’événement et j’ai finalement réussi à en obtenir.
Le jour J arrivé, le 8 juin 2024, j’étais un peu nerveuse, anxieuse – – 12 heures consécutives de spectacle; soutiendrais-je l’attention, l’intérêt? Ma réponse et celle du public, fut OUI.
Pourquoi? Parce que Alice Ronfard a réussi un coup de maître en concevant et proposant un condensé exceptionnel de l’essence dramatique d’une partie de l’oeuvre de Michel Tremblay et que ce projet «fou» a été livré avec fougue, intensité et émotion.
On ne lit pas six romans en 12 heures; dans le mode lecture, la trame se développe progressivement dans le temps. Dans le format théâtral condensé, l’intensité du texte et du jeu est maximisée, densifiée, et nous frappe en plein coeur. Il y a la rudesse de la langue mais aussi la poésie des images et l’émouvante présence de la musique.
La journaliste Odile Tremblay a vu le même spectacle il y a deux ans. Je viens de relire son texte publié dans Le Devoir et j’en reproduis ici de larges extraits parce que je partage ses perceptions.
«Je voudrais vous parler d’un formidable événement théâtral auquel j’ai assisté. Pour sa beauté, son souffle, sa rareté, pour l’accueil triomphal récolté. Parce que ce spectacle nous réconciliait avec nos temps durs. Oui, l’art peut engendrer une intense communion dans sa foulée. (…) Un marathon de douze heures incluant les pauses, en six volets, pensez donc! à Espace libre, rue Fullum. (…)!»
J’ai vécu l’événement au théâtre du Rideau-Vert, rue Saint-Denis, le 8 juin 2024. L’organisation de la journée a été d’une remarquable et redoutable efficacité.
«(…) La traversée du siècle tricotée par Alice Ronfard, lue et jouée sur les mots de Michel Tremblay, puisée à plusieurs de ses pièces et romans, se voulait une saga québécoise, enveloppant trois générations de femmes dans les voiles de nos mythes collectifs. (…) La grande majorité des spectateurs sont restés là jusqu’à la nuit, de retour après les entractes, trop séduits pour partir. Un public soudé autant que la vingtaine de comédiens sur scène. On ne voit pas souvent les gens ainsi communier dans la ruelle entre deux épisodes et trois croutons, avec cette impression de participer à un événement majeur. (…) Sur une idée d’André Brassard, Alice Ronfard aura mis bien du temps à peaufiner La traversée du siècle, sous feu vert de Tremblay. Ici, la lignée magnifiée par l’auteur des Chroniques du Plateau-Mont-Royal semblait représenter le peuple québécois entier. Tous ces francophones tirés de leur campagne, désarmés sur le bitume de la métropole entre asservissement et révolte, prenaient le crachoir. Avec leur douleur, leur misère, leur promiscuité, leur rêve d’autre chose, leurs crises identitaires et sexuelles, les soubresauts de leur société. Les spectateurs reconnaissaient certains romans et pièces d’où émergeaient scènes et répliques, se laissant envoûter quant au reste. Ces extraits-là servis par des narrations fluides, avec du mouvement et du rythme, se muaient sous le choeur des voix en un conte cruel et comique, triste et glorieux, qui vous prenait à la gorge. Le premier épisode était tiré d’un roman récent de Tremblay, Victoire!, formidable retour en arrière au tournant du XXe siècle, à saveur fantastique. En son coeur: l’amour incestueux de Victoire avec son frère Josaphat-le-Violon. De ce cri primal naissait l’exode à Montréal, bientôt transplanté sur la rue Fabre, entre ces femmes fortes et frustrées, ces hommes souvent humiliés !
Le grain de folie du clan allait permettre au jeune Marcel, rescapé de La grosse femme d’à côté est enceinte, de transcender son petit pain. À lui, la création d’enchantements guidée par son chat Duplessis et ses fées tricoteuses. Reste qu’au club Paradise, l’oncle Édouard déguisé en duchesse de Langeais l’aura précédé sur les rives de l’imaginaire pendant qu’Albertine et sa fille Thérèse s’entredéchiraient à la cuisine. (…) Plusieurs rôles pouvaient échoir à l’un ou l’autre des interprètes, nourris par leur ferveur et celle de la salle. En soirée, de derniers épisodes, plus animés, plus colorés, enfantaient de puissantes scènes d’affrontements mère-fille, puis la mort tragicomique d’Édouard qui touchait au sublime et le triomphe de Marcel devenu immortel. Les héros s’incarnaient pleinement. On entrait de plain-pied en terre de légende. (…)
L’exercice épuise les comédiens (même le public), mais on souhaite aux amoureux de théâtre une reprise de La traversée du siècle. Pour ne pas demeurer seulement une poignée à être sortis de là réenchantés.»
Je le confesse, je suis venue tardivement à la lecture De Michel Tremblay, alors que j’ai beaucoup fréquenté son théâtre. La traversée du siècle m’a replongée dans la très grande richesse humaine et dramatique de ce créateur après m’avoir motivée à visiter plusieurs de ses textes.
C’est un cadeau que m’a fait Alice Ronfard. MERCI!
Source:
TREMBLAY, Odile / Le vent qui soulève les mots de Tremblay / Le Devoir, 2 septembre 2022, section Chroniques