«La nostalgie ne se souvient de rien»

22 mai 2022

La nostalgie ne se souvient de rien est le chapeau du texte qui complète l’ensemble des pages que Serge Bouchard consacre à son père: La leçon de mon père dans L’allume-cigarette de la Chrysler noire.

Avant de parler de la nostalgie, Serge Bouchard parle de la mémoire en ces termes:

«L’oubli est plus fort que la mémoire, et lorsque nous essayons de reconstituer notre propre passé, nous n’avons pas prononcé trois phrases que nous commençons à fabuler. Nos histoires sont toujours des histoires inventées. (…) les autobiographies sont les plus grandes oeuvres de fictions qui soient. (…) Nous sommes tous des ‹arrangeurs› quant il s’agit de témoigner à la barre de notre propre bilan. L’histoire fait des choix, (…) nous avons tous (…) des choses à cacher, aux autres et à nous-mêmes.» (p.99)

Je partage ce regard rétrospectif qui ne saurait être fidèle car le temps qui passe ne peut que colorer sans cesse le vécu.

«Si la mémoire nous fait défaut, la nostalgie, elle, est tout ce qui nous reste. Car la nostalgie est la mémoire de l’intervalle, la mémoire de tout dont on ne se souvient plus. Elle ne se rappelle rien en particulier, mais elle vous restitue des pans entiers de votre passé. C’est une odeur, une lumière, un arbre mort, (…) La nostalgie a tout filtré, elle nous envoie les émotions floues d’un état essentiel qui n’est plus, mais qui a été. C’est une réminiscence (…).» (p.99-100)

«La nostalgie est ce rapport au temps, une vague, une ondulation, un signal en provenance du fin fond de soi.» (p.100)

Et ce beau et trop vrai touchant texte se termine ainsi:

«Nous sommes tous en exil de quelque part. Ce quelque part est l’ailleurs mystérieux où toutes les émotions se réfugient, s’empilent et se conservent. Cet ailleurs est passé, nous ne pouvons pas y retourner. Nous sommes condamnés à l’évocation, à la douce évocation. Et jamais l’intelligence émotionnelle et intuitive n’est aussi belle que lorsqu’elle nous console de tout ce que nous ne pourrons jamais retrouver, de tous ces chemins que nous ne pourrons jamais refaire.» (p.101-102)


Source:

BOUCHARD, Serge / L’allume-cigarette de la Chrysler noire / Boréal / Montréal / 2019 / 233 pages / La nostalgie ne se souvient de rien (pp. 99-102)

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