30 novembre 2019
La vie entière de Pierre Morency, troisième volet de ses Histoires naturelles du Nouveau Monde après L’Oeil américain et Lumière des oiseaux, est un livre qui fait du bien, qui me fait du bien, tant il est généreux en beautés d’images, d’émotions, généreux aussi en sources de réflexions et de méditations. C’est un livre d’amour et d’amoureux dans le sens plénier des termes.
Ce livre est fait d’une succession de 16 récits, de moments vécus et rêvés, de contemplations et de réflexions, de communions avec la nature et les êtres.
«De tous les êtres à la fois naturels et surnaturels qui peuplent ce livre, c’est le fleuve qui est le plus présent. (…) Cela nous vaut quelques-unes des plus belles pages jamais écrites sur le Saint-Laurent dans toute la littérature québécoise. (Endos du livre)
Dans Creuser (p. 29), il (l’auteur) revoit son père s’immobiliser sur le pont de l’Île-D’Orléans. Le jeune homme «n’a jamais vu paysage plus saisissant» (p. 41). Le texte donne à le voir, donne aussi le récit de la rencontre entre le jeune homme et son père qui lui apprendra le métier de creuseur de puits.
Dans Présence (p. 49), ici l’auteur se voit sur la galerie de son petit chalet. Il pense. Il pense au fleuve, au passage de notre vie, au temps. Puis, c’est la présence du martin-pêcheur qui absorbe toute son attention, nourrit son récit et nous apprend mille belles choses dont «l’histoire merveilleuse par laquelle les Grecs anciens ont tenté d’expliquer la naissance de cet oiseau aux moeurs si secrètes», dont celles de la nidification, ainsi que l’origine et l’évolution de son nom.
Dans Chaloupe (p. 61), l’auteur, à dix ans, découvre «les délices de la pêche à la ligne. «J’ai appris (…) que la confiance, bien avant la patience, est le premier atout du pêcheur» et qu’il « n’y a pas que dès profondeurs aquatiques que peuvent surgir les surprises; l’esprit humain a ses fonds noirs et le travail de l’écrivain ne consiste-t-il pas le plus souvent à aller y pêcher les mots, les images, les souvenirs qui touchent et émeuvent?» (p. 65)
Trop absorbé par sa pêche, l’enfant faillit n’en pas revenir.
Dans Clarté (p. 71), on découvre le coup de foudre qu’a connu l’écrivain en présence de toutes les forces de la nature vers la mission d’écrivain. «(…) autour de moi: la vie exultait.» (p. 76) «(…) le désir d’écrire, le besoin d‘écrire, la décision de consacrer jusqu’à la fin mes meilleurs forces à l’écriture. Jamais autant qu’à ce moment je n’ai senti tout ce qu’il me serait permis d’exprimer avec l’écriture. (…) Et qu’avais-je à exprimer, sinon la vraie présence de la vie, sinon chaque détail de chaque présence de vie autour de moi.» (p. 79) Suivent de magnifiques pages de réflexions sur l’écriture, les mots, les outils, le temps, l’amour, la tendresse, la caresse, etc.
Dans Caravane (p. 101), l’auteur réfléchit et rêve de noms de lieux.
Le mot Kebek existait avant l’arrivée des explorateurs. Il «signifie détroit ou plus précisément c’est fermé». (p. 103) Morency imagine «que chaque lieu de l’immense géographie avait effectivement un nom avec un sens (…) Beaucoup de ces appellations ont été perdues (…) Nous qui sommes venus plus tard, pourquoi n’avons-nous pas nommé notre pays d’une façon plus poétique? (…) au Québec seulement, huit cent mille lacs n’ont pas de nom.» (p. 103) Est-ce vraiment possible?
Alors, l’auteur s’enflamme et nomme des lacs, des baies, des anses, des criques, des enfoncements, des «dents et trous et l’infinie dentelle des rives du grand fleuve. Pourquoi en avoir nommé si peu?» se demande l’auteur (p. 104)
Il nous raconte La crique de la tendresse, La crique de l’escalier qui chante, La crique de la petite porteuse de mémoire.
On ne met pas en capsule la passion amoureuse de Pierre Morency pour tout ce qui est vivant. J’ai tenté trop maladroitement de vous mettre l’eau à la bouche en énumérant quelques thèmes médités. C’est en le lisant que vous dégusterez la beauté et la richesse des images, du texte et de la méditation.
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Morency, Pierre / La vie entière Histoires naturelles du Nouveau Monde
/ Montréal, Les Éditions du Boréal, 1996 / 285 pages