27 août 2018
Ma mère, décédée il y a 19 ans, avait souhaité me confier sa machine à coudre encastrée dans un beau meuble en noyer (cadeau de mariage en 1939). Je ne sais me servir d’un tel équipement, mais il matérialisait une présence affective doublée du respect d’un vœu de ma mère. Et puis, c’est depuis cette machine à coudre que ma mère m’a confectionné tant de beaux vêtements dont plusieurs que j’ai portés avec fierté et coquetterie lors de mes participations à des concerts.
Un jour, cependant, touchée par une jeune femme qui disait aimer coudre mais qui était sans machine à coudre, je lui ai offert celle de ma mère en lui disant que, si jamais elle décidait de s’en défaire, je souhaitais en être informée car j’envisageais la proposer à des institutions qui s’occupent du patrimoine.
Les années ont passé sans que j’en entende parler. Mais voilà qu’on m’apprend que ladite jeune femme quitte le foyer familial. je ressens instantanément une inquiétude. Dans la nuit qui suit, je rêve de la machine à coudre et de sa destination incertaine. Je suis troublée à cause de l’attachement de ma mère à la filiation de ce meuble.
Le lendemain midi, je retrouve sur ma boîte vocale, un message du conjoint de ladite dame qui m’offre de me retourner la machine à coudre.
Je suis saisie par le lien entre mon rêve et le message, par cette communion de pensées, par cet écho à mon émotion, à mon inquiétude. Je ressens beaucoup de reconnaissance à l’égard de l’auteur de ce geste. C’est comme s’il me permettait de respecter le vœu de ma mère, de témoigner, à travers ce meuble, d’une partie de ce qu’elle m’a permis d’être: bien mise, coquette et fière, moi qui ai tant souffert de porter l’uniforme pendant trop d’années, de la revoir souvent à des heures tardives penchée sur ses ouvrages alors que toute la maisonnée dormait.
Quels sont les fils invisibles et intangibles qui relient les pensées, les font vibrer au même moment, entre deux personnes qui se connaissent, mais se côtoient rarement? Je suis heureuse de cette communication. Elle m’étonne. Elle m’émeut. Mais je ne sais comment l’expliquer. Est-ce vraiment nécessaire d’ailleurs? Et la réflexion se prolonge…
De toute évidence, il est difficile de quitter la vie, de quitter les êtres, mais aussi de quitter les objets qui ont donné sens à cette vie. De toute évidence, on veut «passer la main», garder un lien, laisser une trace.
Du partage d’une anecdote à une réflexion existentielle, les méandres sont boulversants.