Du théâtre à la lecture et de la lecture au théâtre – suite

26 juin 2023

Je poursuis ma préparation au projet théâtral, La traversée du siècle, projet qui sera sur scène à Montréal en 2023-2024, par la lecture de Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges, tome 2 des Chroniques du Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay.

Dans l’édition Bibliothèque québécoise 1991 de ce second roman des Chroniques du Plateau Mont-Royal une très intéressante Introduction (pp. 7-13) est signée Francine Noël. Elle commente le roman et le situe dans l’ensemble du projet. Elle nous prépare ainsi efficacement à sa lecture.

«L’univers de Thérèse et Pierrette est apparemment «petit» (…). Mais, sur cette toile de fond quétaine, c’est le Québec profond des années quarante qui nous est donné à voir, celui qui a vu naître la génération des baby-boomers: c’est la genèse de nos malheurs actuels qui nous est ici montrée, d’une façon transposée, bien sûr, (…). Quand une pièce de Tremblay commence – ou un roman – c’est enfin le moment où les petites gens disent ce qu’ils ont sur le cœur. Cela sort dru. Ils ont, à tour de rôle, la réplique sans réplique. (…)» (pp. 8-9)

La structure du roman reprend celle de la quatrième symphonie de Brahms, soit:
Premier mouvement      Allegro non troppo                            lundi, premier juin
Deuxième mouvement   Andante moderato                           mardi, deux  juin
Troisième mouvement    Allegro giocoso                                  mercredi, 3 juin
Quatrième mouvement   Allegro energico e passionato   jeudi, 4 juin

«Les quatre mouvements du récit sont de plus en plus brefs,» (pp. 21-116, pp. 117-202, pp. 203-270, pp. 271-312) «de telle sorte que l’action, commencée dans la détente et l’innocence, se précipite vers la fin, créant ainsi une tension dramatique. Le temps est celui de la préparation et de l’attente du «grand jour», une montée vers l’apothéose, la procession de la Fête-Dieu (…)» (p. 8)

L’école des Saints-Anges du Plateau Mont-Royal dans les années 1940 est le point d’ancrage de ce roman. Que de psychodrames dans ce petit monde! Les élèves, les religieuses de l’école, les parents, le voisinage! Les portraits sociaux sont riches et diversifiés, les caractères particulièrement typés, les descriptions très filmiques (mais quelquefois un peu longues), l’alternance de la langue parlée du peuple et de la langue plus littéraire du narrateur, tout cela nous plonge dans un univers captivant.

L’un des moments mémorables de ce récit est, pour moi, la crise de rage et de rancœur que Charlotte Côté, mère de Simone (une petite fille défigurée), vomit  devant la directrice de l’école; elle dit toute la souffrance refoulée:

«Vous avez pas honte! Ça vous gêne pas, des fois, d’être bête de même! Quand vous vous couchez le soir, pis que vous repassez votre journée dans votre tête, (…) vous rougissez pas, (…) vous devenez pas bleue! Toutes les punitions que vous avez distribuées pis toutes les humiliations que vous avez faite subir vous étouffent pas! (…) vous vous défrustrez toujours sur des pauvres enfants qui peuvent pas se défendre pis qui se fient sur vous pour leur montrer à vivre! Vous avez toujours le crucifix d’une main pis la règle de bois de l’autre! Tant qu’à y être, ça vous a jamais passé par la tête que vous pourriez varger à deux mains avec le crucifix, ça ferait ben plus mal! (…) c’est encore l’hypocrisie qui vous retient? (…) Quand on a le malheur de pas être une première de classe pis une liche-cuse qui s’arrange pour être chouchou, on est condamné à avoir des mauvais souvenirs de l’école (…) Savez-vous qu’une mentale comme vous peut gâcher la réputation d’une communauté complète! (…) Pour que c’est faire qu’y faut toujours que le chemin que vous nous montrez soye celui de l’humiliation! (…)» (pp. 103-106)

«Cette hémorragie de reproches, cette condamnation sans appel, fut livrée (…) à voix presque blanche et sur un ton égal, sans passion» «comme une dentelle de mots malades, un ruban de phrases sans fin, vert comme la rancœur et mouillé de bile.» (p. 103)

Le docteur Sanregret qui accompagnait Charlotte chez la directrice savait que:

«Les maladies de pauvres, c’est des maladies de la pauvreté; les maladies de pauvres, c’est des maladies laides qui s’attaquent honteusement à du monde faible, ignorant, sans défense; les maladies de pauvres, ça donne envie d’aller se cacher parce que la négligence, pis l’ignorance, pis la maladresse, ça se guérit malheureusement pas avec des remèdes.» (p.100)

Il y a aussi de la beauté dans ce texte. Dont de belles pages sur la musique (pp. 187-191) et sur la nature (p. 155) qui adoucissent le climat.

«(…) lorsque la musique s’éleva dans la maison, étonnante de pureté transparente comme un matin de printemps quand la brume vient de se lever et que le soleil est enfin désaltéré, ronde, lisse et pourtant impérieuse, se frayant effrontément un passage dans le corridor, puis jusque dans les recoins les plus sombres de toutes les pièces, envahissant tout, subjuguant tout ce qui vivait et pulvérisant le reste, anéantissant les objets qui ne pouvaient l’apprécier pour mieux séduire, enivrer les êtres dont le cœur, les oreilles, le cerveau savaient la goûter, la vivre. La maison n’existait plus, seule l’extase dans la musique subsitait, écrasante et dévastatrice.» (pp. 188-189)

«Le parc Lafontaine était en pleine ébullition, en pleine explosion de joie de vivre; on retrouvait aux arbres toutes les nuances de verts possibles, de la plus tendre (celle des feuilles nouvelles qui venaient à peine de percer leur enveloppe) à la plus profonde (celle des feuilles,  les premières à apparaître un mois plus tôt, qui déjà avaient atteint  leur pleine croissance et penchaient sur leur tige comme pour protéger les petites nouvelles), en passant par le vert transparant, presque jade des feuilles de tremble qui bruissaient gaiement, luisantes et celui, profond et reposant, des feuilles d’érables grandes comme la main et pesantes, déjà. (…)» (pp. 155-156)

Source:

TREMBLAY, Michel / Chroniques du Plateau Mont-Royal 2. Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges / Montréal, Bibliothèque québécoise, 1991 / 326 pages

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