Ce que je n’aurais osé dire

17 mars 2019

Le personnage central de L’élégance du hérisson (roman de Muriel Barbery), Renée, concierge dans un immeuble bourgeois, confie ce qui suit :

« Je m’étais depuis longtemps accoutumée à la perspective d’une vie solitaire. être pauvre, laide et, de surcroît, intelligente, condamne, dans nos sociétés, à des parcours sombres et désabusés auxquels il vaut mieux s’habituer de bonne heure. À la beauté, on pardonne tout, même la vulgarité. L’intelligence ne paraît plus une juste compensation des choses, comme un rééquilibrage que la nature offre aux moins favorisés de ses enfants, mais un jouet superfétatoire qui rehausse la valeur du joyau. La laideur, elle, est toujours déjà coupable et j’étais vouée à ce destin tragique avec d’autant plus de douleur que je n’étais point bête. » pp. 45-46

En ne remplaçant que deux mots dans cette réflexion : « pauvre » et « laide » par « aveugle », je m’approprie totalement cette confidence que j’adapte comme suit :

Je m’étais depuis longtemps accoutumée à la perspective d’une vie solitaire. être aveugle et, de surcroît, intelligente, condamne, dans nos sociétés, à des parcours sombres et désabusés auxquels il vaut mieux s’habituer de bonne heure. À la beauté, on pardonne tout, même la vulgarité. L’intelligence ne paraît plus une juste compensation des choses, comme un rééquilibrage que la nature offre aux moins favorisés de ses enfants, mais un jouet superfétatoire qui rehausse la valeur du joyau. La cécité, elle, est toujours déjà coupable et j’étais vouée à ce destin  tragique avec d’autant plus de douleur que je n’étais point bête.

Les stigmates sociaux et les êtres blessés sont légions .Muriel Barbery sait les dire et les décrire.


BARBERY, Muriel, L’Élégance du hérisson, Gallimard, Paris 2006, 356 pages.

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