Boris Cyrulnik échange avec Stéphan Bureau

26 mai 2019

En lisant le texte d’un entretien entre Boris Cyrulnik et Stéphan Bureau, j’ai relevé quelques réflexions qui m’ont particulièrement touchée et qui méritent, me semble-t-il, qu’on s’y arrête. Elles pourraient peut-être vous conduire à lire cet entretien qui survole l’homme et l’oeuvre de ce neuro-psychiâtre dont les écrits sont nombreux.

Le progrès

«(…) tout progrès se paie d’effets secondaires» confie Boris Cyrulnik à Stéphan Bureau lors d’un entretien publié sous le titre: Stéphan Bureau renconte Boris Cyrulnik / Verdun, Amérik Média, 2008, (p. 76)

Alors que nous vivons à une époque où le progrès et les progrès s’accroissent à une vitesse presqu’étourdissante, ces quelques mots de Boris Cyrulnik nous invitent à élargir notre chant de vision, notre champ de réflexion, à regarder non seulement le recto des choses mais aussi le verso.

«Vous ne pouvez pas citer un seul progrès sans effets secondaires», ajoute-t-il en précisant: qu’«il n’est pas question de renoncer au progrès, il est question d’en combattre les effets secondaires, comme pour un médicament.» «Dès qu’il y a un progrès, il faut se demander: quel va en être l’effet secondaire?»

Sans vouloir faire de simplification à outrance, Cyrulnik ne nous dit-il pas qu’il faut toujours réfléchir, analyser, soupeser. Ne nous suggère-t-il pas de ne pas nécessairement monter dans le premier train, de ne pas impulsivement adhérer à des courans de pensée?

Les idéologies

«Dès l’âge de six ans et demi, j’ai compris qu’il fallait se méfier des idéologies dominantes» confie Boris Cyrulnik qui a été arrêté par les nazis en 1944.

« (…) je crois que ça m’a tellement marqué que j’ai continué toute ma vie à me méfier des idéologies dominantes, quelles soient biologiques, psychanalytiques ou politiques. Quand une théorie domine, je pense qu’il faut la critiquer.» (p. 85)

«La vie a un goût de sursis»

«Je crois encore que c’est inouï de vivre, c’est inouï! Il ne faut pas rater une seconde. Il faut assister à tous les couchers de soleil, tous les levers de soleil. Il faut dire tous les mots que l’on peut dire, rencontrer tous les gens que l’on peut rencontrer. C’est une folie, c‘est un miracle de vivre! Donc, je pense que c’est passionnant, ce n’est pas facile, (…) (p. 88)

Quel témoignage!

La résilience

«La résilience, ce n’est pas l’oubli, hein, c’est une tentative de métamorphose de la blessure. Il faut faire quelque chose de sa blessure, mais la blessure, elle est là.» (p. 93)

Boris Cyrulnik a beaucoup étudié et expliqué ce concept.

La main qui pense

«Je pense que l’ordinateur est un bon outil pour collectionner l’information, mais le meilleur outil pour penser, c’est la main. On pense avec la main. Il y a un rythme de penser qui est lent lorsqu’on écrit avec la main, tandis qu’avec l’ordinateur on va plus vite, mais on collectionne référentiellement les idées des autres. Avec la main, on est étonné de l’enchaînement des idées. On part d’une idée et puis, toc!, quelque chose s’enchaîne. Ce travail là ne se fait pas avec l’ordinateur. Si on veut être efficace, il vaut mieux avoir un ordinateur. Par contre, si on veut être authentique, il vaut mieux écrire et penser avec la main. (…) neurologiquement, la main est le prolongement du cerveau.» (pp. 113-114)

C’est une expérience que je partage quand j’écris. Mais je soupçonne que les adeptes de cette façon de faire et de penser ne sont pas légion.

Sur cette piste, Boris Cyrulnik va encore plus loin.

À la question de Stéphan Bureau:

«Est-ce que ça voudrait dire que la littérature, peut-être, perdrait quelque chose de son âme à être produite de plus en plus sur ordinateur»?

Boris Cyrulnik répond :

«Je pense qu’en étant produite sur ordinateur, elle va produire des livres intéressants, mais ça va être un patchwork d’idées. Les idées des autres sont intéressantes, mais dans un texte écrit à l’ordinateur, on ne rencontre pas l’intimité de l’auteur, on ne sent pas son style ni comment son monde est construit. (…)! (p. 114-115)

Échanges passionnants provoqués et à provoquer!

Écouter de riches entretiens, c’est fort intéressant. Les lire, c‘est différent. On s’arrête sur ce qui nous touche particulièrement et on ressent le besoin d’explorer davantage la pensée de la personne  sur des sujets spécifiques.

Pour connaître le développement de la pensée et de l’oeuvre de Boris Cyrulnik, lire les propos consignés dans l’ouvrage cité, mais aussi, aller vers ses propres écrits et ses nombreuses interventions médiatiques.

Source:

Stéphan Bureau renconte Boris Cyrulnik / Verdun, Amérik Média, 2008 / 192 pages

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