25 ans d’un journal posthume sur la pêche et sur l’amour

11 mai 2022

Au fil de la lecture de ce journal de 430 pages, j’ai, à plusieurs reprises, été tentée de refermer le livre sans le compléter. Pourquoi ces hésitations? Pourquoi avoir poursuivi et terminé? Je ne sais pas encore. Même s’il m’arrive de couper court à une lecture qui ne m’intéresse pas vraiment ou qui ne me convient pas, je vais généralement au bout du texte en espérant le mieux absorber. C’est ce que j’ai fait sans en retirer une grande satisfaction. Bien sûr, c’est un témoignage dans lequel, Oui, Benoîte Groult se révèle une battante, mais je n’y croise pas la sérénité. Elle y est confrontée au monstre du vieillissement qu’elle exècre.

Je parle ici de Journal d’Irlande Carnets de pêche et d’amour 1977-2003 de Benoîte Groult. C’est sa fille, Blandine de Caunes, qui a préparé la publication  après la mort de sa mère en 2016.

Amoureuse de la pêche, Benoîte Groult a eu une maison en Irlande pendant plus de 25 ans et y vivait quelque temps l’été. Pendant ces années, elle consigne dans son journal ses commentaires sur le temps, la nature, la pêche (sa raison d’être en ce lieu) avec ses réussites et ses exigences, l’entretien de la maison avec ses corvées, la bouffe (on mange et boit beaucoup), les courses, les visiteurs, etc. etc. Il va de soi que les redites deviennent lassantes.

Elle parle de son amant qui la comble sexuellement et de son mari qu’elle ne veut quitter. Elle ne se prive pas de jugements assez durs sur l’un et l’autre. Ses propos sur le vieillissement, le sien, celui de son mari, celui de son amant sont très négatifs (et le mot est léger), je les dirais même méprisants.

Reviennent des propos obsessifs sur l’âge tels que:

«Insomnie à 4 heures du matin: J’ai rarement; heureusement, de soudains aperçus de la vie de vieillard, de MA vie de vieillarde. Et je les refuse. Je me respecte trop pour subsister au rabais et je n’aime que FAIRE. Non, je ne subirai pas l’atroce vieillesse et je crois que j’aurai le courage de me faire mourir. Malgré ma curiosité: mais les choses ne m’amuseront plus, sinon je ne serais pas vieille justement.! Je refuse la décrépitude, la mort lente assise dans la chambre (d’un asile de déchets), comme l’a écrit Sylvie Caster. C’est une pensée rassurante…»: pourquoi avoir peur et horreur de la vieillesse, si on sait que l’on pourra l’éviter». (pp. 115-116) (voir dans son Journal le 15 août 1982. Elle avait alors 62 ans.)

«Elle porte un regard implacable sur le vieillissement de ses proches, et sur le sien: «Je me demande chaque matin où est la vérité : dans le miroir de ma salle de bains où je suis à faire peur, où dans celui de ma chambre, beaucoup plus flatteur… Si les glaces n’existaient pas, je serais sûre d’être ravissante! (quatrième de couverture)

«Je crois que je pourrais accepter la déchéance physique – dans une certaine mesure! – si l’intelligence reste sinon intacte, du moins correcte. Mon métier, ma dignité, c’est de parler et d’écrire. À quoi servirait de végéter en disant des conneries? Sans compter que je me réjouis d’avance de mourir proprement… Si j’y parviens. Par décision et non par abandons successifs. À force de résignation au pire, et de compromis de plus en plus inacceptables, on perd la face. Et qu’est-ce qui reste, sinon la face, à cet âge? Bouffer et faire pipi, non merci! La seule résolution à prendre, c’est de se tuer plutôt que d’accepter la déchéance. Et la pitié de ses enfants. Oui, je me souhaite intensément le courage de mourir, le moment venu.» (p. 259)

«Les vieillards sont affreux comme les ormes sont séculaires.» (p. 269)

C’est avec ces lignes qu’elle termine son journal d’Irlande en 2003.

«On ne meurt pas seulement de maladie, quant on vieillit, on meurt parce que le goût s’en va. Désormais, je n’ignore plus que la mort est tapie non loin, guettant ses proies sous ses paupières de crocodile qui ne dort jamais. Par quelle grâce parvient-on à l’oublier? Par quel stratagèmes réussit-on encore à jouir de la beauté du monde, du bonheur d’écrire et du plaisir de se réveiller chaque matin? Il faut se garder d’approfondir la question. Un malheur est si vite arrivé…» (p. 427)

«Sa fille raconte que (…) le 20 juin 2016, un médecin belge et ami de famille arrive incognito à Hyères» (l’une des maisons de Benoîte Groult)» et fait, à sa mère de 96 ans, l’intraveineuse létale» (Wikipedia).


SOURCE:

GOULT, Benoîte / Journal d’Irlande Carnets de pêche et d’amour 1977-2003 ,  / Paris, Bernard Grasset, 2018 / 430 pages

Bibliographie

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