Comité interministériel du livre pour handicapés visuels

Les étudiants handicapés visuels, désireux d’être entendus et compris par les membres du Comité interministériel du livre pour handicapés visuels, présentent un document par lequel ils exposent leurs réflexions sur leur situation spécifique ainsi que sur les conditions et besoins inhérents à celle-ci.

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Comité interministériel du livre pour handicapés visuels

Monsieur le président, Distingués membres,

Les étudiants handicapés visuels, désireux d’être entendus et compris par les membres du Comité interministériel du livre pour handicapés visuels, présentent un document par lequel ils exposent leurs réflexions sur leur situation spécifique ainsi que sur les conditions et besoins inhérents à celle-ci. Ce document veut être une introduction à notre participation à d’éventuelles audiences publiques  que nous sollicitons de votre part. De telles audiences nous paraissent indispensables pour étayer ce que le présent document n’exprimera que trop schématiquement. La mise sur pied d’un tel comité nous paraît une initiative fort positive qui ne le serait que davantage si ses membres prêtaient l’oreille à la parole des gens qu’ils ont comme mission de mieux servir et assister par leurs recommandations.

Quelques principes fondamentaux et convictions profondes animent notre pensée et sous-tendent nos propos.

À l’heure où la théorie de la démocratisation guide la plus part des grands mouvements éducatifs dans le monde occidental, théorie dont les leviers sont l’égalité d’accès et l’égalité des chances, – comme nous le savons tous – nous nous réclamons, en tant que citoyens à part entière, de ces droits fondamentaux. Dans la pratique, cette égalité doit cependant être assortie de certaines conditions qui lui donnent valeur de réalisation. Ce n’est pas sur l’égalité d’accès aux institutions d’enseignement que nous voulons aujourd’hui nous pencher – bien que cet aspect soit d’une extrême importance – mais plutôt sur l’égalité d’accès aux instruments méthodologiques de notre choix. L’étudiant bien informé et en situation particulière d’apprentissage est et sera toujours le meilleur juge des instruments et du matériel de travail qui lui est le plus utile et qu’il perçoit comme le plus efficace dans des circonstances données. Nous soutenons donc que nous avons et que nous devons avoir l’entière liberté d’accès au matériel d’études que nous jugeons le plus pertinent. En deçà de ces conditions minimales (reconnaissance de la liberté de choix, existence de services correspondant aux diverses formes que prend cette liberté méthodologique dans la pratique) il ne peut y avoir, dans les faits, d’égalité de chances pour nous de réussir normalement et dans des conditions convenables – comme la masse étudiante en général – le programme d’études dans lequel nous sommes inscrits.

Les instruments de communication, de travail et d’études actuellement accessibles aux aveugles sont de trois types:

      • instrument tactile (reproduction sous forme de points: le braille);
      • instrument tactile (reproduction de l’imprimé par une technique du relief: l’Optacon);

Photo de l'Optacon : Suzanne Commend / Les Instituts Nazareth et Louis Braille 1861 2001 / Éditions Septentrion / p. 269

      • instrument auditif: la bande sonore.

Nous sommes de ceux qui croyons que le handicapé visuel, inapte à accéder à l’imprimé sans intermédiaire, trouve dans le système braille un support de fonctionnement d’une importance primordiale.

      • Le braille a l’avantage d’être très révélateur quant à la graphie des mots.
      • Le braille donne directement accès à la composition graphique d’ensemble d’un texte.
      • Le braille est sans équivalent pour le musicien.

Le braille est un outil de travail et une source d’information incontestable pour celui qui étudie les langues modernes, les mathématiques, etc. et qui a besoin de se créer une image mentale de ce qu’il entend et/ou de ce qu’il comprend.

      • Le braille est irremplaçable au niveau de l’étude et de l’analyse de la littérature contemporaine par exemple où la ponctuation est quasi absente.
      • Le braille constitue un véhicule direct et souple de l’expression écrite, de l’activité littéraire.
      • Le braille permet à l’étudiant d’être entièrement autonome en recherche (lorsque la documentation est disponible sous cette forme) et de repérer extrêmement rapidement ce qui lui est nécessaire en matière d’information écrite.

En définitive, le braille demeure l’instrument de communication qui se rapproche le plus – sauf l’accès à l’imprimé lui-même – de ce que révèle l’imprimé à l’œil.

Le braille s’avère toujours un instrument de travail efficace et encore inégalé – comme nous venons de le démontrer – mais l’étudiant sait fort bien que la constante mise à jour des programmes de cours (et par conséquent du matériel didactique) le mène coûte que coûte à l’utilisation d’un instrument de travail complémentaire, le magnétophone. Cette technique, surtout à cause de la rapidité de production qu’elle a engendrée, nous est d’un apport certain et les dernières améliorations technologiques ont réduit de beaucoup les frustrations et les difficultés auxquelles se heurtaient les usagers (vitesse variable, signaux sonores de repérage, détecteur de fin de piste, critères d’enregistrement, etc.). Mais il n’en demeure pas moins que le travail de l’étudiant avec la bande sonore soit long et ardu. Il est parfois agréable d’écouter une lecture de détente (bien reproduite) mais combien d’heures doit passer l’étudiant à essayer de comprendre un langage très abstrait sans fermer l’oeil? Combien d’heures consacre-t-il à recopier en braille de longs extraits à titre d’aide-mémoire ou de matériel de démonstration? Combien d’heures passe-t-il à confronter le texte enregistré à la copie originale en ce qui a trait à l’orthographe, à la ponctuation précise, à la disposition, aux caractères, etc.

Nicole à la Magnétothèque
Nicole à la Magnétothèque

Nous nous permettons de faire remarquer que la Magnétothèque générale du Québec est ouverte aux besoins des étudiants et des professionnels aveugles et qu’elle y répond d’une façon satisfaisante en ce qui concerne le livre édité. Cependant, nous ne pouvons lui confier, pour des raisons diverses, des documents non publiés, des notes de cours, des bibliographies, des articles, des tableaux, des extraits d’ouvrages, etc.

Bien que d’un apport positif certain dans les études d’un handicapé visuel, le livre parlé ne se substitue pas entièrement au livre écrit (au braille) pour les raisons énumérées ci-dessus et bien d’autres encore que nous réalisons quotidiennement dans nos activités.

L’Optacon, de par son concept, est certainement l’instrument idéal puisqu’il annihile tout autre intermédiaire en donnant un accès direct à l’imprimé. Cependant, ceux qui le connaissent bien comprennent très vite que cet instrument ne constitue présentement qu’un complément. La vitesse de lecture moyenne qu’il permet, l’altération de la sensibilité tactile qu’un long usage ininterrompu provoque, la qualité optimale et la résistance peu commune à la fatigue de l’effort de concentration que son usage efficace exige n’autorisent pas à compter uniquement sur cet instrument pour des études de longue halène, des lectures volumineuses.

Il va s’en dire qu’aucun d’entre nous n’est fermé au progrès que laisse entrevoir la recherche technologique; nous espérons tous en la mise au point d’appareils de plus en plus complets, efficaces et rapides. Cependant, comme il ne faut pas rêver d’appareils-miracles, c’est l’ensemble des différentes techniques et leur utilisation judicieuse qui aideront le plus et le mieux les étudiants aveugles à atteindre leurs buts.

L’intérêt porté aux handicapés visuels, la sensibilisation progressive à leurs besoins, la mise sur pied d’organismes de services et d’équipement (A.M.E.O. aides mécaniques électroniques et optique, par exemple), l’encouragement à la production de matériel d’étude (Magnétothèque générale du Québec, Converto-Braille, entre autres), constituent quelques aspects positifs que nous savons reconnaître, identifier et apprécier. Dans le but de rendre ces services plus efficaces et, par conséquent, plus rentables, plus en harmonie avec nos besoins personnels, et qualitativement mieux produits, mieux répartis et mieux organisés, nous présentons une liste de suggestions et remarques concernant spécifiquement le matériel écrit en braille.

Le matériel sonore (le livre parlé) pour étudiants est, depuis peu, produit de façon continue par la Magnétothèque générale du Québec dont la survie nous est essentielle.

L’Optacon est actuellement distribué par un organisme très officiel et que nous osons croire permanent, A.M.E.O. Quant au livre braille pour étudiants, la situation paraît beaucoup plus chaotique; c’est pourquoi nous désirons insister davantage dans ce sens.

Il nous apparaît essentiel que, prioritairement, la production de matériel didactique en braille soit continue et confiée à un organisme dont l’équipement et le personnel soient en mesure d’effectuer un travail rapide et de qualité.

Cet organisme devrait être responsable:

      • de l’évaluation des besoins des usagers avant le début de chaque session afin de planifier un échéancier et des conditions de production;
      • de la production dans des délais qui rencontrent les besoins des usagers;
      • de l’information et de la distribution du matériel braille produit et disponible;
      • de la récupération, de la classification et de la conservation du matériel produit;
      • de l’établissement des critères d’accessibilité aux services en consultation avec les   usagers;
      • du recrutement d’un personnel qualifié – et bien rémunéré si nécessaire – pour la   production du braille; connaissances vastes du braille: abréviations françaises et anglaises, symbolisation mathématique, scientifique, technique, musicale et autres, transposition de la composition graphique d’ensemble, etc.;
      • de l’entraînement et de l’encadrement de son personnel;
      • de la collaboration avec tout autre organisme produisant de l’équipement pour   handicapés visuels afin d’en arriver à une centralisation du matériel disponible;
      • d’une administration judicieuse et d’une comptabilité adéquate.

Cet organisme, ou l’équivalent, devrait être responsable:

      • de la compilation de toutes informations susceptibles d’éclairer le handicapé visuel en matière :

a) de nouveautés technologiques,

b) de services offerts par diverses institutions dont les institutions d’enseignement,

c) d’existence ou de création d’organismes s’intéressant à leur situation (objectifs de tels organismes),

d) de la préparation d’un catalogue en braille dénombrant les ouvrages écrits en braille et les ouvrages enregistrés;

        • de la diffusion périodique de cette information.

Malgré la sensibilisation des ministères de l’Éducation, des Affaires sociales et des Affaires culturelles à nos droits et besoins, malgré la création de nouveaux organismes, nous devons encore, dans le domaine du braille, faire face à un sérieux problème de production (lorsqu’elle existe) non organisée, non planifiée, par conséquent, interrompue et tout à fait inadéquate.

C’est parce que nous désirons être entendus, écoutés et compris comme citoyens à part entière et que nous souhaitons que l’éventuel mode d’application de ce document se fasse dans l’optique de l’égalité des chances de réussir nos plans d’études et de l’égalité d’accès aux instruments de travail individuellement jugés le plus pertinent que nous vous présentons nos réflexions et observations. Nous adjoignons à ce texte une liste de recommandations dont – nous l’espérons – vous tiendrez compte au terme de votre réflexion sur la situation du livre pour handicapés visuels.

RECOMMANDATIONS

D’un commun accord, la population étudiante handicapée visuelle recommande :

    1. que le Comité interministériel du livre pour handicapés visuels organise des audiences publiques;
    2. que lui soit reconnue l’entière liberté de choix du matériel de travail et d’étude;
    3. que ce principe de liberté de choix du matériel de travail et d’études soit assorti de services correspondant aux différentes méthodologies: matériel braille, matériel sonore, matériel visuel et autres;
    4. que le système braille soit reconnu, dans les faits, comme une «aide mécanique» de  première importance;
    5. que l’on procède à la mise sur pied, de façon officielle, d’un organisme permanent responsable de la production du matériel braille pour  les étudiants;
    6. que cet organisme s’adjoigne un personnel qualifié; qu’il ait les fonds nécessaires pour assurer l’entraînement et l’encadrement de ce personnel;
    7. que cet organisme s’occupe de l’évaluation périodique des besoins des usagers; qu’il planifie sa production, qu’il la diffuse et qu’il la récupère;
    8. que cet organisme définisse des critères d’accessibilité; (s’il s’avère indispensable  d’encadrer le volume des demandes, que cette limite s’exprime en termes de pages en noir);
    9. que l’on s’entende sur l’évaluation du coût de production d’une page braille en tenant  compte de la dimension de la page, du nombre de caractères qu’elle peut contenir etc., en distinguant la production massive de la production à tirage restreint;
    10. que les organismes déjà en place établissent, pour les bénéfices de tous, des objectifs précis en matière de braille;
    11. qu’un organisme déjà existant diffuse, sous forme de bulletin ou de chronique dans une revue, des informations concernant les progrès techniques adaptables aux besoins des handicapés visuels, concernant les services offerts aux aveugles par diverses institutions, y compris les institutions d’enseignement les bibliothèques, etc.;
    12. qu’un comité soit formé afin
      • de retracer tout matériel braille et sonore,
      • de vérifier sa qualité,
      • de l’acheminer à un dépôt déterminé,
      • d’assurer la population intéressée d’une information adéquate à ce sujet.

Francine Gravelle
Nicole Trudeau
Marguerite Turcotte

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NOTE :

Voir ci-après la lettre d’appui du RAAQ, (Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec)

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Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec,
6515, St-Denis, Montréal,
H2S  2S1
tél.:  273-8773

Montréal 04-04-1979

Comité interministériel du livre pour handicapés visuels.

Monsieur le président, Distingués membres,

Vous trouverez ci-joint un document rédigé par des étudiants handicapés visuels au sujet de l’accès aux instruments méthodologiques de lecture accessibles pour cette dite clientèle.

Certains de ces étudiants, membres du Regroupement des Aveugles et Amblyopes du Québec, ont sollicité notre appui et ont obtenu notre aide pour la production en noir et en braille de leur texte.

Nous endossons le contenu de ce texte et nous souhaitons que vous serez en mesure de répondre à leurs attentes dans les plus brefs délais.

Veuillez agréer, Monsieur le président, Messieurs les membres du Comité, l’expression de nos sentiments distingués.

Michel Regnaud,
secrétaire exécutif.

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Document non publié déposé au Comité interministériel sur la production du livre pour handicapés visuels / avril 1979 / Francine Gravelle, Nicole Trudeau, Marguerite Turcotte / Comité interministériel du livre pour handicapés visuel.

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